Olga Pericet

Le cante est fondamental

La talentueuse danseuse Olga Pericet est à l'affiche cette semaine des Nuits Flamencas de Châteauvallon où elle présentera son spectacle "Rosa, Metal y Ceniza" le vendredi 25 juillet prochain. Voici l'interview exclusive et passionnante qu'elle nous avait accordée le 15 mars dernier lors de sa venue à Sceaux au Théâtre Les Gémeaux avec le même spectacle.

Olga Pericet

Olga tu es originaire de Cordoue, comment as-tu découvert le flamenco ?

Là-bas à Cordoue comme dans toute l'Andalousie, le flamenco est très présent, il est partout. Et puis je viens d'une famille grande aficionada au flamenco : mon père, mon grand-père, ma mère... J'ai grandi en écoutant du flamenco. Personne ne le chante ni ne le danse car ils ne sont pas professionnels mais ce sont vraiment de grands aficionados et j'avais le flamenco à portée de main.

Tu es allée vivre à Madrid très jeune, qu'as-tu trouvé là-bas qu'il n'y avait pas à Cordoue ?

J'avais envie de m'en aller et de découvrir, d'explorer de nouveaux territoires. En plus c'était la capitale, alors je savais qu'en plus du flamenco j'allais pouvoir voir d'autres disciplines, que j'allais rencontrer des gens, et avoir plus d'opportunités pour le travail. Donc j'ai fait tout mon possible pour partir. Avant Madrid je suis allée à Séville, mais quelque chose m'attirait à Madrid comme si c'était ma ville. Et c'est là-bas que je suis allée pour apprendre, avec le temps, tout ce que j'ai appris.

Comment définirais-tu ton baile ?

Mon baile... c'est difficile de définir son propre baile, mais je pourrais dire que c'est un mélange entre la technique ou la discipline que je peux avoir en plus de la spontanéité du moment. Je pense que d'après ma carrière, mon travail est plutôt personnel.

Qu'a apporté la danse espagnole à ton baile ?

Cela m'a apporté le placement du corps, une diversité de mouvements, une liberté aussi car comme dans toute culture ou tout art, plus tu connais de choses, plus tu peux élargir ton registre. Voilà ce que cela m'a apporté, et en plus j'adore cela, j'aime beaucoup toutes les formes d'art et de danses.

Dans ton dernier spectacle présenté au Festival de Jerez, tu as travaillé avec Juan Carlos Lérida, que retiens-tu de cette collaboration ?

Cela m'a apporté beaucoup de choses. Tout d'abord, son langage est le flamenco, mais il a un autre point de vue, un autre registre, une autre façon de monter les chorégraphies, une autre façon de penser la mise en scène. Donc en travaillant avec lui j'ai connu des personnes plus théâtrales, des techniques d'improvisation pour commencer une chorégraphie, et cela m'a énormément enrichie, car chaque fois que tu collabores avec quelqu'un il partage son essence, ce qui fait s'élargir ton point de vue même si tu le conserves. Ce furent deux années de travail très fortes avec lui, j'ai découvert un univers que je ne connaissais pas, un univers plus théâtral, un univers d'improvisation ouvert et respectueux du flamenco, quelque chose de très vaste, un langage plutôt curieux, indéfinissable, que j'aime beaucoup.

Quel est ton processus de création d'une chorégraphie ?

Cela dépend quel type de chorégraphie, et si je sais vraiment ce que je veux faire, ou si je laisse faire le hasard et que le hasard m'amène à cela. Je me suis rendu compte que chaque processus est différent. Mais c'est vrai que ma création est très liée à l'image, au visuel, aux couleurs, et au mouvement en lui-même. Parfois cela me frustre beaucoup quand je dois comprendre le pourquoi... le pourquoi me vient après. Mais quand je pars de la chorégraphie évidemment l'espace est fondamental, l'espace et les couleurs, quelque chose de visuel qui attire mon attention en plus du cante ou du palo que je vais interpréter.

Le cante justement a l'air d'être quelque chose d'important pour toi car tu t'entoures toujours de très bon cantaores...

Oui pour moi le cante est fondamental. C'est qu'il me porte beaucoup. La guitare me plaît aussi énormément. De plus j'ai l'habitude de m'entourer de personnes qui m'apportent beaucoup, qui sont avec moi et me rassurent chacun à leur façon.

Mais pour moi le cante est très important, je me base beaucoup dessus, car je me suis rendue compte que c'est ce qui me stimule le plus. Je me laisse toujours des moments d'improvisation comme ça se fait toujours dans le flamenco... et pour moi c'est fondamental, le cante est celui qui me fait vibrer énormément à ce moment de ma vie et aux moments où je me laisse ouvrir les chorégraphies. Donc pour moi c'est primordial, en plus du fait que je suis une grande aficionada, j'aime beaucoup le cante.

Donc tu danses mieux avec le cante ?

Oui, il me porte énormément. Ca dépend ce que je vais faire, mais quand je fais du flamenco cela me stimule énormément. Quand je travaille sur un palo j'essaye de voir les letras qui pourraient aller, les letras et les styles qui me touchent, qui provoquent des choses en moi pour que mon entrega puisse être totale.

Avec qui travailles-tu pour tes tenues de scène ?

J'ai travaillé avec différentes personnes comme Antonio Belar, un très bon créateur et metteur en scène espagnol. En ce moment depuis plusieurs productions je travaille avec Yaiza Pinillos qui est aussi espagnole. Il y a eu aussi Holly Wallington, avec qui j'ai fait une résidence au Sadler's Wells de Londres, nous avons fait quelque chose de très joli entre les costumes et la mise en scène. Pour moi les vêtements sont très importants car quand j'imagine quelque chose j'imagine une couleur, une forme... j'aime la peindre. Quand ces designers me font des esquisses il y a une communication, nous travaillons ensemble. Je suis très investie en ce qui concerne les vêtements. J'aime m'impliquer dans ce domaine, je suis maniaque pour ça, car j'aime me sentir bien [...]. On peut dire que j'ajoute quelque chose à la création.

Tu as dit que tu peignais... c'est une autre passion en plus de la danse ?

Je ne suis pas professionnelle ni rien, mais j'aime peindre et dessiner, oui. Mais on ne peut pas dire que c'est une passion car ma vie c'est la danse, écouter de la musique, aller au théâtre et à quelques musées. Je n'ai pratiquement pas le temps car ma vie est entièrement dédiée à mon baile. Donc souvent je manque de temps. Mais c'est vrai que c'est quelque chose qui me plaît. En fait mon père est créateur de bijoux, il peint des esquisses, alors sans l'avoir étudié c'est quelque chose que je fais, mais avec beaucoup de modestie. J'aimerais apprendre pendant mon temps libre pour pouvoir peindre mieux.

Dans ton dernier spectacle "Pisadas" présenté au Festival de Jerez, tu portes à la fin une couronne de vierge somptueuse, qui l'a réalisée ?

C'était une sorte de symbole fort, une proposition un peu risquée là où je l'ai fait car on ne sait pas comment cela peut être perçu. C'est une matière qui a l'air lourde, mais en fait ça ne l'est pas. C'est une couronne qui se transforme en éventail, puis en voile ou en jupe. Cela représente le poids de la femme, la mystification d'être vierge. C'est une vision à moi très personelle, le poids que l'on porte c'est celui que l'on se fait, personne ne nous oblige. [...] Cette pièce c'est Holly Wallington qui l'a réalisée lors d'une résidence au Sadler's Well, elle est merveilleuse. Le processus de création a été réalisé à deux, je lui ai dit ce que je cherchais, ma poésie, et elle s'est occupée du côté matériel, et ça a donné ça. J'ai beaucoup aimé et j'ai dit "Je dois le faire".

Tu as longtemps partagé la scène avec Manuel Liñan, Marco Flores, Daniel Doña, mais maintenant on te voit plutôt en solo...

Oui, nous avons commencé notre carrière ensemble, et il y a eu un moment où nous avons décidé que chacun avait son style, que nous avions fait beaucoup de choses ensemble, et nous avions besoin chacun de travailler seuls, de réaliser nos propres créations. C'est très ouvert car nous continuons à collaborer de temps à autres les uns avec les autres, mais c'est vrai qu'il y avait une nécessité de développement personnel et individuel de la part des quatre.

Nous avons monté en 2004 je crois "Camara Negra" avec Manuel Liñan, ensuite Chanta la Mui. Nous avons grandi ensemble artistiquement et laissé une empreinte assez importante, je m'en suis rendu compte au fil des ans. Nous ne voulions pas un ballet pour toujours. Nous voulions être libres de décider ce dont nous avions besoin au moment adéquat, et ça s'est passé comme ça.

C'est très difficile aussi de s'occuper de deux compagnies. Avoir une compagnie ensemble et une autre chacun de son côté, cela n'avait pas de sens. Nous étions destinés à des créations individuelles. On verra bien ce que nous réserve l'avenir ! mais pour le moment non.

Peux-tu nous parler du spectacle que tu présentes ce soir "Rosa Metal Ceniza" ?

C'est un spectacle plutôt simple au niveau du concept car je voulais parler de la transformation. J'ai cherché cette transformation dans des matières différentes pour qu'il n'y ait pas de thème ni rien. Donc j'ai simplement posé la rose, le métal et la cendre. La rose pour moi, le fleurissement, c'est le début, la naissance, la féminité etc... je le laisse ouvert pour le spectateur. Le métal pour moi c'est la force, la lutte, le plus froid, le plus dur, cette partie du milieu de la vie, de cette transformation que chacun doit vivre... et ensuite pour moi la cendre était comme la mort, ou plus que la mort dans ce cas le renouveau, car la mort n'est rien d'autre qu'un renouvellement. Les choses se terminent pour recommencer. Je raconte cela avec des palos du flamenco, avec un narrateur, un personnage narrateur qui m'emmène vers différents états, et à travers différentes disciplines de la danse aussi. C'est juste du cante, de la guitare, un concept si simple et si essentiel, et mon baile.

Je pense que la mise en scène est importante. Comme je t'ai dit je me fie beaucoup au visuel.

Que vas-tu danser ?

Au début de la première partie je fais un paso a dos qui est de Marchena sur Cordoue d'où je viens, qui est ma naissance. Je fais ce paso a dos avec Paco Villalta. C'est un mélange de danse contemporaine et d'escuela bolera, très délicat. Je fais ensuite des cantiñas et des rosas, puis des siguiriyas dans la seconde partie, en passant par taranta et taranto. Et ensuite à la fin nous faisons un autre paso a dos, qui est une pincée de contemporain dans le flamenco. [...] Ensuite solea apola, solea petenera, et je termine por petenera. Bulerias avec l'artiste invité Jesus Fernandez de Cadiz, qui a tout l'art du monde... et bon, je crois que c'est un voyage plutôt joli pour la transformation, très simple, et moi j'aime beaucoup la simplicité.

Tu as changé les cantaores non ?

Ce sont les mêmes que d'habitude, sauf qu'à la place de Miguel Lavi qui à cette occasion ne pouvait pas venir, se trouve Manuel Gago, dont j'aime beaucoup la façon de chanter. J'ai collaboré avec beaucoup de monde et nous nous connaissons tous. Manuel j'avais travaillé avec lui dans la compagnie de Rafaela Carrasco, et je le connais aussi suite à une tournée que nous avons faîte aux Etats-Unis avec Carmen Cortes et Rafaela Carrasco. Lui était dans l'équipe de l'autre artiste et nous sommes allés ensemble à Miami, Washington, New-York... et comme personne il est aussi merveilleux et j'adore sa façon de chanter.

Souhaites-tu ajouter quelque chose, quel conseil donnerais-tu par exemple aux personnes qui en France souhaitent apprendre à danser ?

Qu'ils suivent leur instinct, qu'ils ne fassent pas quelque chose que leur coeur ne leur dicte pas, apprennent de tout le monde.

Je pense qu'en France le niveau de flamenco est très bon. Je pense que la France est un pays qui apprécie beaucoup la culture, je me sens vraiment très bien quand je travaille ici car il y a une façon de comprendre l'art d'un autre point de vue.


Olga Pericet a reçu le 27 octobre 2014 le prestigieux prix "El Ojo Critico de la Danza" 2014 remis pat l'émission de radio de RNE - Radio Nacional de España - pour sa versatilité comme interprète et sa créativité en danse espagnole et flamenco, sa trajectoire qui transcende les langages chorégraphiques, et son courage à prendre des risques artistiques.

Flamenco Culture, le 15/03/2014


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