Antonio Fernández Montoya [Farruco]

La vérité de ma vie

En toute simplicité, le danseur gitan Farruco a animé un stage, au mois de décembre, à Toulouse. Quelques jours dédiés à la transmission, entre deux répétitions de son prochain spectacle.

Les cours viennent de prendre fin et chacun s’approche du buffet improvisé. Les victuailles affluent et de nombreux amateurs de flamenco ont rejoint cette soirée dans le seul but de croiser le regard de Farruco. Face aux miroirs de l’académie de flamenco d’Anita Meidani, à Toulouse, ce ne sont plus des dizaines de danseuses que l’on retrouve, mais une assemblée d’aficionados ravie d’accueillir le jeune maestro dans la Ville rose. Tandis que certains discutent à droite à gauche, d’autres s’approchent timidement de l’artiste. Ses chaussures de danse à peine enlevées, Farruco prend une guitare noire et commence à interpréter quelques palos. Il fredonne même. Jusqu’à ce qu’une jeune femme lance « un cante para Morente ». Et Farruco entonne avec émotion un tango.

Transmettre

Alors il chante. Vite rejoint par la voix cristalline de sa jeune épouse, Julia (1). Le jeune couple improvise un duo en hommage à Morente, comme si de ce côté des Pyrénées, l’esprit du génie Enrique veillait sur ces âmes flamencas réunies avec un seul mot d’ordre : la transmission. Un terme cher au jeune bailaor. « Je suis convaincu que dans le flamenco, et dans la vie, le plus important est la transmission. Ici par exemple, nous n’avons que dix heures de cours ensemble : je serais un magicien si je pouvais leur enseigner correctement une chorégraphie en si peu de temps. Pour moi, c’est plus important de rechercher les sentiments. D’arriver à transmettre comment ressentir ce que l’on danse. Et savoir pourquoi l’on danse », insiste-t-il. Farruco expérimente cette idée de transmission depuis l’enfance. « Chez moi, le flamenco faisait partie du quotidien. Tout le monde chantait ou dansait. C’était la fête tous les jours. On mange flamenco, on dort flamenco. Quand on grandit dans cet environnement c’est inéluctable... » Dans son propre apprentissage, « Farru », comme on l’appelle généralement, souligne en particulier le rôle de son grand-père Farruco (1935-1997), grand bailaor devant l’Eternel qui a su imposer son style et celui de sa famille, « el sello de los Farrucos » comme le rappelle son petit-fils. « C’est mon grand-père qui m’a tout appris. Et même si aujourd’hui, j’ai ma propre personnalité artistique, à la source de ma danse se trouve mon grand-père. »

Un artiste multiple

Le lendemain, changement de décor. Les cours sont transférés de l’autre côté de Toulouse, à l’académie La Buleria, de Vanessa Domiati qui, comme Anita Meidani, a accepté d’accueillir le stage du danseur espagnol. « Farru » a revêtu son costume de danseur, celui qu’on connaît le plus. Dans la salle, les élèves s’échauffent au rythme des palmas du maestro. Du haut de ses vingt-deux printemps, il en impose largement à cette assemblée d’aficionados – la salle est bondée et pas seulement par les stagiaires – qui boit ses paroles comme le ferait un parterre de chrétiens devant la lecture d’un évangile. A ses côtés, venu accompagner le cours, même le guitariste toulousain Antonio Ruiz Kiko – qui a plus l’habitude de la guitare soliste – semble apprendre du jeune maestro, guitariste à ses heures. « Petit, je rêvais d’être guitariste. Mais je n’avais pas les mains assez grandes pour pouvoir en jouer correctement. Alors je me suis tourné vers la danse, sans pour autant délaisser la guitare », raconte-t-il alors que, ironie du sort, il est le danseur attitré de Paco de Lucía avec qui, au détour d’une loge, il a souvent « gratté » quelques cordes… « Por no tener quien te quiera… » et Farruco devient cantaor. Alors que ses élèves toulousains passent un à un devant le miroir, la letra de la solea se dessine sur ses lèvres aussi naturellement que son zapateado chantait sur le parquet quelques instants plus tôt, ou que la falseta qu’il interprétait la veille dansait sur sa guitare.

Et si finalement c’était ça… Farruco. Un homme orchestre. Ou plutôt un flamenco orchestre. C’est peut-être aussi ces multiples facettes que l’on découvrira dans son prochain spectacle. Un montage qui lui est cher et dans lequel la recherche rythmique est à la base de sa réflexion. « Dans ce spectacle, je me retrouve dans une rue, dans la peau d’un petit garçon que se busca la vida, qui a des rêves et qui invente des rythmes avec tout ce qu’il trouve autour de lui : un balai, du fer, un bâton… C’est un peu la vérité de ma vie. »

(1) Alors qu’elle ne se dédie pas professionnellement au flamenco, Julia fait partie des chœurs qui ont accompagné Paco de Lucia dans le dernier film de Carlos Saura, « Flamenco, flamenco ».


Delphine Fabius, le 12/2010


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