Rocío Molina

Cuando las piedras vuelen

Teatro de la Maestranza - 20h30

Les pierres commençèrent en respirant, exhalant la vie par la porosité serrée de leur dure peau. Et entre le corps des pierres, le corps de la bailaora, naissant ou se réveillant. C'est quasiment nue que Rocío commence à battre des ailes, à chercher la liberté du baile, comme un oiseau nouveau-né qui déploie ses ailes, avec un instinct de survie. La "Tremendita" et Gema Caballero l'aident à se lever avec des pregones chaleureux, parlant des chaînes qui lient et se traînent, des pierres qui pèsent et empêchent de s'envoler. L'oiseau est né et laisse sa silhouette clouée entre les pierres du sol.

Rocío utilise seulement un espace à la fois, mais elle termine en utilisant tous les espaces scéniques. L'oiseau monte sur le rocher tandis que l'écran nous raconte des histoires à travers les yeux des chouettes et que Juan Antonio Suárez Cano colore et met en relief le baile posé de Rocío. Depuis sa façon de se vêtir jusqu'à ce qu'elle laisse retomber une main, tout ce qu'elle fait est danse. Et por cantiñas et mirabrás Rocío se débarrasse de l'inné pour respecter l'acquis, le baile comme on attend que soit le baile. Pour métaphore, un petit espace, à peine une petite dalle en bois qui lentement disparaît dans le sol. Et malgré l'espace restreint, Rocío réalise un prodige en dansant avec planta, punta et tacón, comme l'obligent les règles. Mais quand elle lance un coup au bois qui l'oppresse, un coup de pied littéralement, c'est comme une figure flamenca, un nouveau son, une nouvelle forme. Et après le prodige elle décide de sortir de scène.

Quand Rocio sort de scène tout est silencieux, Cano et la "Tremendita" nous donnent un peu d'air avant que la merveille ne décide de revenir sur un banc pivotant. Et comme celui qui peint une toile, Rocío peint avec les pieds et avec le corps une partition muette à laquelle donnent voix Vanesa Coloma et Laura González, chaussures de flamenco à la main, reproduisant sur les pierres le son des pieds de Rocío. Quand le silence revient le corps se libère, tout est tension et relâchement tournant sur un nouvelle et insignifiante dimension circulaire. Sur l'écran on réfléchit au temps qui passe, à l'arrivée de l'inévitable, tandis que Gema Caballero chante "la dulce tiranía de la hermosura, que triunfa y avasalla, mas poco dura". ("la douce tyrannie de la beauté, qui triomphe et asservit, dure si peu").

Il y a aussi quelque chose de cinématographique dans la danse de la bailaora qui, cigarette au bec, provoque la "Tremendita", quelque chose qui amène des rumeurs de blues obscur et des notes de jazz. Il y a de la liberté dans les letras de tangos, un tango aussi beau que ses formes flamencas qui dissipent d'emblée la méfiance qu'un spectateur néophyte pourrait avoir vis-à-vis de Rocío. Le baile est si démesuré qu'à la fin l'assistance applaudit l'oeuvre à tout rompre durant de longues minutes, envoûtés.

Rocío découvre que la silhouette entre les pierres, la sienne, est d'une couleur plus lumineuse et que les ailes ont toujours été là. Quand les cent ampoules suspendues aux fils rouges descendent du ciel, on entend seulement le bruissement de l'éventail. Celui de l'oiseau qui vole libre.

Ne pas citer le travail de mise en scène de Carlos Marquerie serait presque un crime. Le travail de lumière est l'un des plus beaux que ces yeux ont vu. Et le rythme dramatique est aussi palpable qu'opportun. Parler seulement de bon travail de distribution musicale serait aussi une injustice, un travail extraordinaire de la part d'une équipe extrêmement cohérente pour une cérémonie de ce calibre.

Rocío avait déjà placé la barre très haut avec "Oro Viejo" et a gravi un nouvel échelon avec sa nouvelle proposition. Pour le moment, elle continue à nous ébahir.

A 23h au Teatro Alameda, le cantaor jerezano David Lagos présentait son album "El espejo en que me miro" devant le public sévillan, celui qui lui avait donné sa chance quelques années auparavant ici-même à la Biennale en lui octroyant un prix de la révélation. Cependant, il est important de mentionner un problème majeur de timing dans l'organisation, que nous avons déjà vu dans d'autres festivals - à Jerez en 2010 la compagnie Dos Por Medio avait terminé son spectacle un quart d'heure avant celui de Fran Espinosa - et dont les artistes pâtissent alors que ce sont des rendez-vous importants pour leur carrière et pour lesquels ils se sont longuement et intensément préparés. Il y avait peu de spectateurs au récital de David Lagos, bien que toutes les entrées aient été vendues, car un certain nombre d'entre eux n'a pas eu le temps de rejoindre le Teatro Alameda après le spectacle de Rocio Molina. Fait d'autant plus triste que quelques mois auparavant au Festival de Jerez, le Palacio de Villavicencio qui accueillait le récital du cantaor était comble, et que beaucoup d'aficionados étaient restés dehors.


Javier Prieto, le 19/09/2010

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Equipe artistique

Baile: Rocío Molina
Cante: Rosario Guerrero "La Tremendita" et Gema Caballero
Toque: Paco Cruz et Juan Antonio Suárez "Cano"
Palmas: Vanesa Coloma et Laura Gonzalez
Dirección escénica, escenográfica e iluminación: Carlos Marquerie


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