Rocio Molina

Oro Viejo

Même l’or, ce métal dit inaltérable, vieillit. Vieil Or, « Oro Viejo » est le nom du spectacle de Rocío Molina présenté dans le cadre du Festival Paris Quartier d’Eté.

L'or vieillit, et se teinte d'une obscurité jaune profond. Ce spectacle est conçu autour du temps qui passe. Rocío Molina porte un regard sur le temps qui passe, sur ceux qui portent les marques du temps sur leur corps et que la société oublie. Paradoxalement, malgré sa jeunesse, elle ressent cette fuite du temps, elle qui a le sentiment de n'avoir pas pu s'arrêter dans son parcours de danseuse, pour poser un regard. Révélation dans le monde de la danse flamenca, cette jeune artiste de 26 ans a déjà acquis une notoriété mondiale.

C'est autour de ces idées qu'à été construit ce spectacle, succession de tableaux évoquant tantôt avec passion, tantôt avec nostalgie mais aussi avec dérision le temps passé et celui qui passe. Le spectacle s'ouvre sur une femme qui vient verser du sable dans un récipient ; il y en a trois sur scène symbolisant les âges de la vie. Debout sur une chaise, Rocío Molina nous fait ressentir le vertige face au temps passé. Des projections nous montrent le visage d'anciens. Et c'est la plongée dans les danses d'antan revisitées à travers le flamenco. Rocío Molina danse avec David Coria et Adrian Santana un pasodoble ; alternativement, le danseur joue le rôle du torero et la femme, celui de sa cape, avec entre le deux un taureau imaginaire. Grand moment de ce spectacle, Rocío Molina danse, accompagnée seulement à la guitare par Rafael Rodríguez, une guajira, danse d'aller-retour (ida y vuelta). Sa danse se remplit de sensualité, d'espièglerie ; elle joue avec son éventail à cache-cache avec le regard. David Coria et Adrian Santana interprètent alors une chorégraphie, faite d'éloignements et de rapprochements, sur la chanson « Limeña » de Chabuca Granda.

Rocío Molina nous livrera des tangos flamenco endiablés, un chapeau servant de symbole pour représenter sans doute l'homme évoqué dans la chanson “La Catalina”.

La fièvre se change en espièglerie et insouciance sur la chanson “¡Dónde va, María! ”, dansée sur un banc par les trois danseurs et Rosario ; un retour aux films muets ou aux comédies musicales espagnoles des années cinquante.

Sur une interprétation musicale de “María de la O” version de Manuel Alejandro, Rocío revient dans l'expression de la tendresse ; des gestes ronds, mesurés. Puis ce sont des Tonás permettant au public de s'imprégner des voix impressionnantes de La Piriñaca, du Niño Almadén et de Paco Mazaco. Les danseurs David Coria et Adrian Santana ramènent de la gravité, offrant de très beaux solos de pieds s'intercalant avec les chants.

Sur une Malagueña magnifiquement jouée par Rafael Rodríguez, Rocío et les danseurs développent une danse contemporaine tout en sensualité. Rafael Rodriguez pour la tradition, Paco Cruz pour la modernité, ont offert à Rocío Molina un bel espace musical à ses chorégraphies. Rosario « La Tremendita » offre une très belle présence vocale avec son timbre très particulier, très profond, capable d'une grande puissance expressive.

Le spectacle se termine par une caña. Deux espaces se dessinent ; sur le chant de La Tremendita, le danseur répond à la danseuse, le passé au présent, l'homme à la femme. Rocío Molina rend encore hommage au passé, à ces maîtres de la danse dont elle porte l'héritage : de belles postures stylisées et un zapateado sobre et précis. Après quelques pas sur un fandango, Rocío Molina clos ce voyage dans le passé ou le futur, sur fonds d'images de retrouvaille entre une femme âgée et une enfant, recouverte par le sable du temps.

Rocío Molina recherche la perfection ; chaque geste, chaque attitude jusqu'au plus petit détail, a été travaillé pour donner un sens. Le niveau technique est impressionnant. Selon ses propos, elle a, au fil de son apprentissage et de sa participation à des compagnies ou en se produisant en solo, acquis un savoir, qui n'a sa raison d'être que parce qu'elle met sa technique au service de ce qu'elle veut exprimer. Ce spectacle est très abouti : la scénographie, les costumes, la musique, rien n'est laissé au hasard. Les membres de sa compagnie excellent et chacun trouve son espace pour exprimer sa personnalité. Le très beau chant de Rosario "La Tremendita" et sa présence scénique apporte une intensité. L'excellent guitariste Rafael Rodríguez "Cabeza", un des meilleurs accompagnateurs des danseurs transcende la tradition et le guitariste Paco Cruz apporte encore une touche de modernité et son inventivité. Le percussionniste Sergio Martínez, gardien du rythme, Vanesa Coloma et Guadalupe Torres vont bien au-delà du simple accompagnement et trouvent leur place dans les chorégraphies dansés par Rocío Molina.

Ce fut une grande nuit du Festival Paris Quartier d'Eté. Le public, debout, a fait une ovation à Rocío Molina.


Philippe Dedryver, le 31/07/2010

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Equipe artistique

Baile: Rocío Molina, David Coria, Adrian Santana
Cante: Rosario "La Tremendita"
Toque: Rafael Rodríguez "Cabeza", Paco Cruz
Percussions: Sergio Martínez
Palmas: Vanesa Coloma, Guadalupe Torres
Vidéo: David Picazo, Marta Azparren
Lumière: Ruben Camacho
Son: Enrique Cabañas
Management: A Negro Producciones


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