Ce tout jeune festival qui proposait du 17 au 25 novembre 2023 sa troisième édition s'est donné comme ligne directrice de faire sortir le flamenco des grands pôles culturels et de l'amener dans les territoires périphériques, dans des salles à taille humaine pour le faire découvrir à un public néophyte tout en conservant l'ancrage des aficionados. Le deuxième propos et non le moindre est d'offrir aux artistes locaux l'occasion de se confronter à un public habitué aux grandes pointures. Et c'est vrai que « chez nous », dans le sud, les talents regorgent que ce soit à la danse au chant ou à la guitare.
Première démonstration : le spectacle d'ouverture à Castelnau-le-lez où la jeune Pauline Adela a dû « lidiar el toro por primera vez » ! Elle s'en est rudement bien tirée ! affichant des capacités prometteuses malgré une verdeur propre aux débutantes. A suivre !
La vedette ce soir là c'était Claudia la Debla, tout juste 21 ans mais sur scène depuis des années. Pour ceux qui découvraient cet art ce fut une révélation, un ouragan d'énergie de sensualité, et une harmonie parfaite avec les musiciens. Claudia est la parfaite représentante du flamenco de Grenade des Cuevas du Sacromonte, débridé, viscéral, ténébreux qui a subjugué les voyageurs romantiques du XIX ème siècle et continue d'attirer les touristes du monde entier. Mais sa danse a abandonné le côté aguicheur pour gagner en profondeur, elle est respectueuse du chant, attentive à la guitare, habitée par le rythme avec des percussions corporelles d'une finesse et d'une variété incroyables, elle passe de la dentelle à la furie embarquant les spectateurs dans un Taranto majestueux finissant en tangos de Granada aux cambrés vertigineux comme là-bas !
Le lendemain voyait le retour sur scène d'une grande danseuse du sud de la France, Mélinda Sala, qui nous a gratifiés d'une Seguiriya élégante et bien trempée. La responsabilité de la soirée incombait cependant à Jaïro Barrull qui revient régulièrement dans nos contrées pour une piqûre de rappel de son baile de Morón de la Frontera, enfin, celui des mâles bondissants, martelant le parquet de torrents de taconeos et fouettant l'air de leurs longues chevelures. Ça frise la recherche de la performance et tire un peu vers le cabotinage mais le public est ravi et en redemande, las Cantiñas font l’unanimité et la Soleá por Bulería soulève l'enthousiasme. Les amoureux du chant se rattrapent avec Emilio Cortès et ses fandangos et El Bocata por tangos de Morente, un hommage raffiné et émouvant au maître de Grenade. A noter son étonnante inclusion de quelques vers de la célébrissime rumba de Manzanita « Gitana » en bulería dans un « fin de fiesta » très participatif qui a enflammé la scène et la salle de Clapiers.
Dimanche matin au Crès le Coro Rociero « Rio Quema » de Vendargues avait mobilisé les amoureux de la sévillane et des chants traditionnels pour un concert de Villancicos, les chants de Noël si populaires et entraînants. Depuis les incontournables « Marimorena » ou « Los Peces en el rio » jusqu'à des choix plus diversifiés mais judicieux, les dix-sept choristes ont ravivé la flamme du souvenir pour certains et la curiosité pour d'autres. Le set s'est terminé par des sevillanes dansées par une partie du public pendant que dans la salle d'à côté Claudia la Debla entraînait ses stagiaires dans des tangos dont elle a le secret.
Pour sa clôture le festival est revenu à Castelnau-le-lez pour accueillir le troisième de la dynastie des Farrucos Manuel Fernandez Montoya, « El Carpeta » de son nom artistique.
Mais d'abord devant les yeux extasiés des élus locaux ce sont les élèves de Laura Clemente grande dame du flamenco héraultais qui ont tenu avec panache leur rôle de « teloneras » (première partie de la vedette). Six filles avec chacune sa personnalité, ce qui est tout à l'honneur de leur professeure, à la technique impeccable, servies certes par une chorégraphie nuancée et généreuse. Merci encore Laura, si discrète mais si flamenca. Excellente mise en bouche avant l'arrivée du bailaor.
Pour tout dire « el baile de Sevilla » c'est son grand père qui l'a inventé : l’immense Farruco, qui lui, avait une coupe courte et un chapeau, mais une énergie débordante. Ses petits fils ont développé la question des cheveux, des grands sauts et de la mitraillette des pieds. On se demandait jusqu'où ils allaient arriver dans la frénésie et la testostérone. Finalement l’aîné Juan « Farruquito » a gardé son élégance absolue et l'a enfin mise au service du chant, un bonheur. Le cadet Antonio « Farru », surfe toujours sur sa gueule d'amour de mousquetaire survolté. Que restait - il à Manuel ? Le meilleur aurait dit Charles Perault … D'une corpulence plus proche du grand père, rablé et tonique, El Carpeta rappelle son aïeul sur scène, il porte cependant l'art de la mèche à son maximum. Dommage, on aurait aimé voir plus souvent son visage même si ses arrêts sur image en fente profilée, avec rideau capillaire, sont du plus bel effet. Lui, son truc c'est l'hommage. Et l 'économie. Point trop n'en faut, ses danses sont entrecoupées de longs moments de calme, parfois même assis près des musiciens, participant au « cuadro », il a sa chaise. Ça discute, ça évoque, ça s'auto félicite. Mais finalement c'est parfait. Le paroxysme permanent, c'est usant, et on n'en apprécie que mieux ses moments de bravoure, taconeos intersidéraux et sauts acrobatiques. C'est son empreinte personnelle, et son univers est fait du souvenir des grands chanteurs passés, des fêtes qui ont nourri son enfance et forgé son art. On en vient à se demander pour qui il danse. Le public ? Il le prend certes à témoin et réclame bien souvent son approbation mais il est tourné vers ses musiciens, ses amis, ses cousins : le chanteur Ezequiel Montoya à la voix surprenante à la fois légère et profonde, Manuel Lozano El Lolo au magistral cajón et Jesús Rodriguez à la guitare qui s'est fendu d'une farruca personnelle mâtinée de garrotín avec un zeste du guajira, du grand art, sans oublier Melchor Borjas au clavier, quelque fois envahissant mais très flamenco et qui a concrétisé l'intermède nostalgique par quelques extraits des chansons de Quilate un groupe mythique des années 80, instructif mais non hispanophones s'abstenir … Un ensemble avec quelques longueurs mais avec le propos réussi de s'approcher du flamenco « naturel » celui des familles gitanes, de la convivialité et de la spontanéité, un crédo martelé par les deux tableaux encadrant le spectacle où le danseur joue l'écrivain et déroule sa philosophie : « Así mismo yo aprendí » … « c'est ainsi que j'ai appris, en jouant, c'est ainsi que je le conçois en progressant.. quand je danse avec mon cœur, je n'oublie jamais que je suis gitan ».
Il y a eu d'autres événements qui sans nul doute ont aussi mérité de figurer dans la « reseña » : les spectacles de la Compagnie Ojalá et de Céline Daussan la Rosa Negra, l'expo photo de Marie Garcia, les stages de guitare de Manuel Gomez, de chant d'Emilio Cortes de cajón de El Lolo et ceux de danse de Mélinda Sala, Claudia La Debla et El Carpeta mais le don d'ubiquité nétant pas acquis par la chroniqueuse il conviendra de s'inscrire l'année prochaine pour les cours ou les soirées afin de pouvoir appréhender la totalité de l'offre de ce festival pétillant et courageux à l'image de son directeur artistique Alexis Laurens, toujours pressé mais efficace, sourire déployé et communicatif, « un pedazo de pan » comme disent les andalous. Vivement la prochaine édition.