Lori La Armenia

Le partage c'est ce que j'aime le plus

Flamenco-Culture avait réalisé l'an dernier l'interview de Lori La Armenia. La danseuse parisienne que nous suivons depuis plusieurs années s'était confiée avec beaucoup de sincérité. Elle nous parle de l'influence de l'histoire familiale sur sa vie, de la bohème, du flamenco, de la littérature et de la poésie... et nous la retrouvons un an après pour son actualité flamenca de mai 2014.

Lori La Armenia

photo © Nina Sharabati

Lori peux-tu nous raconter l'histoire de ta famille ?

L'histoire de ma famille, mon histoire, c'est ce que je danse. La danse c'est mon arme de combat, c'est ce qui me permet de guérir mon âme de tout ce que j'ai reçu par mon éducation orale, tout ce que l'on m'a raconté. Je n'ai rien vécu directement, ce sont mes parents et mes grands-parents, et donc mon baile, mon flamenco, c'est ma façon de résister, de lutter et quelque part de sanctifier à ma façon les sépultures de nos ancêtres qui ont été injustement trahis, massacrés, déportés. Donc l'histoire, je vais la faire simple, mais c'est beaucoup plus subtil et beaucoup plus compliqué. Mes grands-parents sont nés en Arménie, qui était à ce moment-là sous le joug de l'empire Ottoman présent à ce moment là depuis cinq siècles. A la veille de la première Guerre Mondiale, l'Empire Ottoman a commencé à s'effondrer, à s'effriter, et il y a eu un grand mouvement national fasciste appelé "Les Jeunes Turcs" qui a prémédité, commandité un génocide contre tous les arméniens qui étaient sur le territoire. Je ne m'étendrai pas sur les raisons, les explications, mais le résultat c'est qu'un million et demi d'arméniens ont été déportés et massacrés. Mes grand-parents sont des survivants de ce génocide. Sur trois millions d'arméniens, seul un million et demi a survécu. Ils sont arrivés au Liban ou en Syrie à travers le désert de Der ZOR, puis de là ils ont fui à Marseille ou sont partis aux Etats-Unis ou en Amérique Latine. Mes grands-parents sont restés au Liban, et une grande communauté arménienne s'est formée là-bas. Car le Liban c'est aussi une terre de communautés. Avant la guerre c'était un paradis culturel et social où tout le monde cohabitait ... et quand la guerre a éclaté, mes parents sont venus en France. Comme le Liban était un protectorat français ils sont arrivés ici en tant que réfugiés politiques, et petit à petit tous les membres de notre famille et nos amis du Liban se sont retrouvés ici et ont refait une petite Arménie du Liban à Paris. A partir de là, si vous me suivez encore, comme mes parents travaillaient énormément, j'étais tous les jours chez ma voisine, je passais ma vie là-bas "Chez Tanza", la mère du violoniste qui était dans le spectacle. Et ce sont des tziganes roumains, qui sont eux aussi des gens qui ont échappé à différentes formes de barbarie humaine et qui au rythme de leurs violons et cymbalum, se sont échappés du régime soviétique et sont venus ici.

Donc en fait j'ai été élevée entre toutes ces histoires d'errances, de terre perdue, de massacres et de nostalgie, depuis L'Arménie à la Roumanie en passant par le Liban...

Pour mon histoire Tzigane, j'ai été élevée parmi des musiciens, et même des chiens qui chantent la gamme de do à compas, mais toujours dans une culture de bohème, de peuples qui ont vécu le massacre, et dans une nostalgie d'une terre toujours perdue.

C'est pour ça que le flamenco, quand j'ai entendu ça pour la première fois c'était la perfection.

Là je parle français, on ne dirait pas du tout que je suis flamenca ou que je suis arménienne. En tout je parle cinq langues : le français, l'arménien qui est ma langue maternelle, le roumain qui est ma seconde langue maternelle - il paraît que je le parle avec un fort accent tzigane d'ailleurs ! - l'anglais et l'espagnol.

C'est une histoire d'exode qui se rapproche beaucoup de celle des gitans non ?

Oui je pense car c'est quelque chose que je n'ai pas réfléchi mais tout simplement directement vécu. Comme j'ai été élevée dans un communauté Tzigane, quand je suis arrivée chez les gitans c'était comme à la maison, pour moi tout était très naturel, les comportements, les relations sociales, le respect de la famille, des traditions [...] Et puis c'est toujours la fête. Chez nous tout se fait à table, on arrive à table en riant, en chantant, en dansant, et puis on sort de table en pleurant. On pense toujours à ceux qui sont ici, là-bas, aux cousins qui sont aux Etat-Unis, en Argentine, en Grèce ou au Liban... Donc pour moi l'Andalousie et le flamenco regroupaient un peu toutes ces différentes parties de moi, c'est là où j'ai trouvé une osmose et une logique.

Toi aussi tu as un peu une vie de bohème, comment vis-tu le fais d'être tout le temps sur la route ?

C'est une nécessité, on a toujours besoin d'être en vadrouille, puisque tous mes moi sont éparpillés dans le monde. J'ai besoin d'être avec ma famille qui est au Liban... en Arménie c'est plus compliqué car l'Arménie de mes grands-parents n'existe plus aujourd'hui, aujourd'hui c'est la Turquie. Depuis 1991 on peut aller en Arménie soviétique. C'est comme si on disait à un marseillais cent ans après d'aller retrouver sa culture en Bretagne. Donc c'est un peu compliqué mais je vais quand-même en Arménie. Et l'Andalousie c'est l'endroit où j'ai trouvé un peu ma terre, surtout quand je suis arrivée à Jerez. Je suis allée à Séville et Grenade, mais Jerez c'était très très bizarre, c'était une évidence. Donc c'est une nécessité. J'ai besoin d'être ici et là-bas pour retrouver tous mes moi. Je suis un peu comme une mosaïque, un caméléon, mais c'est aussi parfois un peu fatiguant. Par exemple je n'envisagerais pas plus tard de ne vivre qu'à un seul endroit, il faudra toujours que je sois à plusieurs endroits différents.

L'exposition Bohèmes qui se tient en ce moment au Grand Palais t'a -t-elle inspirée, t'y es-tu reconnue ?

Tout à fait. Pour moi l'exposition Bohèmes c'était doublement parlant, et je me suis doublement identifiée, d'une part par la Bohème en général, toute la première partie Gitane et Tzigane et d'autre part par le fait que je sois née à Montmartre. Et donc toute la deuxième partie sur la vie des artistes qui ont vécu la bohème à Montmartre... je me suis d'autant plus identifiée par ces deux aspects, par ma culture profonde et celle où j'ai vécu. Et en plus j'ai eu la chance d'être invitée à participer au documentaire "En passant par la bohème" qui était diffusé à l'exposition, c'était une évidence. Le DVD du documentaire sur l'exposition est distribué à la FNAC et peut-être encore au Grand Palais. Il a également été retransmis sur France 5, peut-être qu'il y aura d'autres diffusions.

Paris, Grenade, Jerez, Séville, quelle est la ville que tu préfères, qui t'inspire le plus ?

En fait chaque ville m'inspire à sa façon et de façon très différente. Comme chaque partie de moi est attachée à ces différents ports, sans compter Beyrouth qui m'inspire énormément car c'est là où j'ai la plus grande partie de ma famille. Je m'inspire différemment à chaque fois, et je tente de danser le plus fidèlement à ce que je suis, une mélange de tout cela ! Je suis attachée à une forme musicale différente qui correspond à chaque endroit. J'aime Triana, la buleria de Triana, c'est à part, muy bonita, même si la buleria de Jerez es la que mas me gusta. Donc c'est difficile pour moi de choisir, en tout cas ce qui est sûr c'est que chaque endroit m'inspire particulièrement. A Paris par contre, ce qui est difficile, c'est que je ne m'inspire pas forcément par la ville, mais ce qu'elle engendre. On est sur un bout de terre, sur une île imaginaire où d'un seul coup si chance il y a, il y a un poquito de duende, una chispa, ça dépend des gens en fait. Souvent comme on vient d'un peuple qui a perdu sa terre, ce qui est le plus important pour moi en fait, je le dis souvent, ce n'est pas l'endroit c'est les gens !!! Et c'est ce que Paris a d'unique : à l'intérieur de sa forme sublime grouillent des âmes en quête de sens et de liberté qu'elles soient noires rouges ou transparentes, elles sont toutes là !


photo © Nina Sharabati

Comment as-tu découvert le flamenco ?

Tout simplement chez moi. Mon père écoutait Juan Serrano en boucle et j'étais fascinée. C'est un guitariste, un vieux guitariste et ce qui me rendait folle c'est que quand il jouait j'avais l'impression qu'ils étaient une dizaine alors qu'il était seul avec sa guitare !!!... et à partir de là j'ai écouté et j'ai commencé à poser des questions à "ma famille tzigane". Il me disaient "Les gitans espagnols attention, ce sont des gitans de pistola". Ils avaient une vision très très arriérée, surtout que ma grand-mère, enfin, je l'appelle ma grand-mère, est née en 1920. Elle me disait "Les espagnols sont fous, les espagnols sont outranciers, sont tragiques, sont passionnels, fait attention avec les gitans espagnols", alors que chez nous c'était pareil, mais les tsiganes ne se voient pas comme ça. Donc j'ai découvert ça chez moi, et ensuite vers l'âge de 12/13 ans avec mes parents on a fait un voyage à Madrid et j'ai vu un spectacle dans un tablao flamenco. Le Flash ! A partir de ce moment ça ne m'a plus quitté l'esprit, j'ai pris des cours à Paris, mais c'était seulement une fois par semaine. Au bout d'un moment j'ai fait des stages là-bas et ensuite j'ai décidé de m'installer là-bas.

Que représente pour toi le flamenco ?

Pour moi le flamenco c'est l'art le plus complet qui me correspond, à travers lequel je peux exprimer tous mes moi, tout ce que je suis, et surtout exorciser tout le malheur et la tristesse qui m'habitent depuis que je suis née, depuis qu'on m'a raconté mon histoire. D'abord le chant qui me guide m'inspire et me nourrit puis le reste qui en découle, la danse et la guitare . Le flamenco est un chant métaphysique, très profond, très tragique et en même temps très très léger et très gai, contrairement à ce que les gens croient. Donc c'est tous mes moi et c'est en même temps une grande liberté, parce qu'on improvise énormément. C'est une conversation à trois mais qui dépasse à un moment donné les conversations avec la parole. Il y a une danseuse qui s'appelait La Macarrona, très ancienne danseuse, qui disait "Para que hablar ?", pourquoi parler ?

Qui sont tes références dans le flamenco ?

D'abord je dirais les chanteurs, car ce qui m'a subjugué c'est le chant. El Terremoto, El Borrico, Luis de La Pica, El Indio Gitano, El Chocolate; Comme bailaor je dirais Farruco , El Andorrano, la Carmen Amaya, Manuela Carrasco, Angelita Vargas... Et ensuite ce que j'aime c'est plein de gens qui ne sont pas connus, et qui sont vraiment dans la culture vivante du flamenco, qui n'ont pas de nom... qui sont des artistes pour les artistes, des artistes de l'intérieur, et c'est cette culture tellement vivante qui m'attire car j'ai besoin de vivre loin des scènes et des spectacles. J'ai besoin de vivre de façon spontanée.

Ton palo de prédilection c'est la buleria ?

Oui et non, c'est la solea et la buleria, mais aussi le Taranto le martinete et la siguiriya, mais je les touche avec beaucoup de respect, je ne suis pas encore maître de la siguiriya, mais j'espère un jour.

Tu as en projet deux spectacles pour le début du mois de mars, peux-tu nous en parler ?

Ce sont deux projets qui me tiennent à coeur. Tout ce que je fais avec le flamenco il faut que ce soit très délicat, subtil, avec des gens que j'aime, avec qui on peut vraiment bien travailler. Le premier c'est un spectacle assez humaniste qui s'appelle "La sangre del alma". C'est un spectacle plein d'espoir, chaud, sensuel, qui mélange la musique, la guitare de Dimitri Puyalte, la danse, et la parole de Michel Albertini. C'est un spectacle d'une heure, assez violent dans sa forme comme l'est la société d'aujourd'hui contre nous en ce moment, c'est le constat de ce qu'est la société inhumaine dans laquelle on vit en ce moment. Il est à bout de nerfs, c'est une révolution mais notre arme de combat c'est la musique et l'amour. Donc ça c'est Sangre del Alma les 7 et 8 mars à la Péniche Anako, on fera deux séances par jour à 20h et à 22h. Et ensuite le 9 mars j'ai la chance d'accompagner Ana Barba et Dani Barba qui seront déjà le 8 mars au Théâtre du Soleil pour un spectacle de flamenco traditionnel. Ce sera en deuxième partie d'une adaptation d'une très belle pièce de Sartre, Huit Clos, qui s'appellera justement "A puerta cerrada".

Tu va organiser un stage avec Carmen Ledesma...

Oui, Carmen avec Manuela Carpio, et Farruquito, ce sont mes vrais maîtres, - ceux qui m'ont lancée, m'ont encouragée, avec lesquels j'ai un vrai rapport d'amitié...

Comment arrives-tu à concilier ta carrière de danseuse et de comédienne, ce sont deux choses qui vont ensemble ?

Oui tout à fait. En fait j'ai toujours fait du théatre j'ai fait aussi de la mise en scène pour des enfants, donc le théâtre fait vraiment partie de moi. Ensuite le flamenco c'est quand-même quelque chose de très personnel, de très théâtral dans le sens du théâtre pur fait sur l'acteur.

Donc j'ai été amenée à intégrer la compagnie de théâtre Irina Brook à travers le flamenco car elle cherchait une danseuse de flamenco, et elle m'a très vite enlevée de tout ce qui était ma façon de danser très posée, et elle m'a fait rejouer après toutes mes années d'enfance où je faisais du théâtre en amateur. Ma façon de danser est très théâtrale mais ma façon de jouer est très corporelle. Quand je danse je joue et quand je joue je danse, c'est très très lié, du coup j'ai été amenée à faire pas mal de chorégraphies à travers ça et j'ai touché à tout ce qui est la parole, le jeu, la danse, la mise en scène, parce que je ne suis pas seulement danseuse et pas seulement flamenca. Je suis très littéraire aussi, depuis très petite j'ai beaucoup écrit de poésie. J'étais très fascinée par les surréalistes donc j'étais très proche de la parole. Et à un moment donné quand la parole ne me suffisait plus je me suis mise à danser. Et quand la danse ne me suffisait plus j'ai commencé à jouer, et maintenant je concilie les deux, dans le spectacle Sangre del Alma où je parlerai et danserai aussi.

Quel est le dernier livre que tu as lu ?

Nadja de Breton, et je suis en ce moment enfouie dans la poésie espagnole, française, surtout de la résistance, Aragon, Lorca, Neruda, je suis toujours envahie de livres.

Continues-tu à écrire ?

La façon dont nous écrivons le spectacle Sangre del Alma c'est une réécriture autour de poèmes que nous aimons et avec des choses que nous avons rajoutées, donc je m'y suis un peu remise avec Sangre del Alma. J'ai plus tard en tête de réécrire, et je voulais faire aussi un clin d'oeil justement à travers ça à Caterina Pascualino qui est une anthropologue italienne qui a beaucoup travaillé sur le flamenco à Jerez, car avant d'aller en Andalousie j'étais à l'Université et je faisais de l'anthropologie. Et de tout ce que j'ai lu sur le flamenco ce qui m'a le plus touché c'est ce qu'a écrit Caterina Pascualino - Ndlr : auteur du livre Flamenco Gitan. J'ai été amenée à la rencontrer à mon retour après huit ans passés en Andalousie, elle voulait faire un film, donc elle nous a filmés avec Bastian de Jerez pour un documentaire d'anthropologie esthétique.

Un jour j'écrirai, pour tous les gens autour de moi qui peut-être n'ont pas la sensibilité pour comprendre la forme du flamenco, qui parfois gène les gens car elle est très dure, ou peut-être pour les gens qui ne comprennent pas l'espagnol ; ce qui est bien aussi c'est de traduire et d'écrire, pour une autre approche, une autre forme de communication, d'atteindre des gens qui ne connaissent pas pour partager tout ce qui moi m'a touchée parce qu'au fond le seul mot qui pour moi peut traduire le flamenco c'est le partage, c'est ce que j'aime le plus.

Tu partages aussi avec les enfants...

Enormément, je crois que je suis toujours une enfant et je le resterai j'espère. J'ai travaillé beaucoup avec les enfants quand j'étais jeune. Là je vais partir au Liban pendant quinze jours pour donner des cours et danser là-bas. En Arménie je fais de l'humanitaire, je vais presque tous les ans faire des stages de flamenco pour des enfants dans les villages. Pour moi l'enfance c'est la base de tout.

Dans ton portrait publié il y a quelques années tu avais souhaité mettre en introduction une letra de siguiriya qui évoque l'Arménie

C'est un révélateur car c'est dit, c'est écrit, c'est transmis oralement depuis des siècles. La letra dit "A la sierra de Armenia yo me quiero ir, donde no hay ni un moro ni un cristiano que se puede ir". C'est une façon de se réfugier dans un paradis perdu. Comme par hasard c'est la sierra de Armenia. C'est un beau hasard pour moi car le peuple ROM pendant la longue errances vécue - depuis la sortie du nord de l'INDE Jusqu'à son arrivée en Europe - est resté en Arménie pendant plus d'un siècle à l'époque médiévale sûrement jusqu'à l'arrivée des Turcs Seljoukides au 15ème siècle...

La niña de Los Peines et ensuite Camaron, puis Morente et tous les grands chanteurs qui ne seront jamais connus du grand public la chantent, en Calo/ YO CAMELO GUILLARME A LA SIERRA DARMENIA ET NON PAS YO ME QUIERO IR

Un petit mot sur Carmen Alvarez ?

Carmen Alvarez comme je te disais c'est elle qui m'a confirmé mon amour, ma passion pour le flamenco, c'est LA prof, la maestra que j'ai trouvée à Paris qui m'a donné tout ce que j'attendais en fait du flamenco, tout ce que j'imaginais du flamenco, et qui m'a encouragée. Elle me disait "Tu niña te tienes que ir pa' España, porque ya aprendiste todo, te tienes que ir". Carmen Alvarez pour moi c'est une figure qui est sur mon autel, elle fait partie des belles rencontres que j'ai faîtes dans la vie, qui ont confirmé mes impressions sur le flamenco et pour qui j'aurai toujours une place à part dans mon coeur.

Il y a de cela un peu plus de 5 ans, un grand cantaor a disparu. Il s'appelait Victor "El Charico". C'était un artiste incroyablement talentueux, une grande perte pour le flamenco. Tu le connaissais bien, peux-tu nous en parler ?

Je l'avais fait venir à la Peña. Ensemble. Il nous a quittés. C'était l'artiste des artistes. Il est très très grand. C'était un chanteur hors-pair, un niño virtuoso, il chantait pour Juan Ramirez, le grand bailaor. Quand El Torta ou Capullo allaient à Grenade la première chose qu'ils cherchaient c'était "El Niño Charico" para que cantara, et ils passaient trois jours ensemble. Je pense que Niño Charico son histoire elle est aussi emblématique de celle du flamenco. C'est-à-dire que c'était quelqu'un d'une très grande valeur humaine, d'une très grande sensibilité et d'un grand niveau artistique mais qui a été trahi, bafoué, violé, par la vie, le quotidien, le milieu de la nuit et tout ce qui va avec, et il était tellement jeune quand il est entré dans le monde du flamenco qu'il n'a pas réussi à contrôler tout ça.

Il était tellement brillant, quand il ouvrait la bouche c'était Terremoto El Viejo. Quand il chantait por siguiriya c'était vraiment sa réincarnation. Il a gagné des milliards de concours, il a été sur toutes les plus grandes scènes avec les plus grands musiciens du monde du flamenco et sa voix résonne toujours dans l'écho du vent, ceux qui l'ont écouté le savent...

Février 2013


Nous retrouvons Lori La Armenia un an plus tard, qui nous parle de l'année écoulée et de ses projets.

Mon actualité a été très dense ces derniers temps. J'ai participé au tournage du film de Guillaume Gallienne "Les garçons et Guillaume, à table !". J'ai organisé un stage avec Carmen Ledesma. J'ai passé beaucoup de temps à Séville où j'ai dansé et pris des cours avec Carmen Ledesma, La Faraona et Farruquito. Avec la Faraona c'est particulier car elle enseigne assise, comme le faisait son père El Farruco. J'ai dansé au Cirque Romanes. Pour moi danser là-bas est une continuité, car j'ai été élevée par des tsiganes et je parle leur langue. Roza, la fille d'Alexandre Romanes est une de mes élèves, elle est fondamentalement très flamenca!. Sa soeur Nicoletta est aussi très flamenca. Je donne des stages réguliers de Buleria à Flamenco en France, environ tous les deux mois, et qui marchent très bien. Pourquoi, parce qu'on apprend à danser la buleria comme on l'apprend naturellement dans les fêtes quand on est un tout petit enfant dans un patio de Santiago, avec un chanteur, un guitariste, un percussionniste. On a tous nos petits pas, chacun a ses pas de base, les choses les plus simples, et ensuite chacun improvise et apprend à rentrer dans la danse pour se désinhiber et oublier un peu toutes les chorégraphies, la technique, et être soi, danser comme nous on est. Dimanche je danse au Théâtre El Duende avec Manuel Gutierrez qui sera là car tous les ans il participe au gala de bienfaisance d'Eva Longoria et il sera donc exceptionnellement à Paris.


Flamenco Culture, le 2013-2014


photo © Nina Sharabati

photo © Marie Julliard design Hara Kiki


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