Cela fait plusieurs années que Flamenco Culture suit la carrière de Leonor Leal. Depuis son passage à la Maison des Cultures du Monde en 2008 dans le cadre du Festival Larachi Flamenca dirigé par la regrettée Sharon Sapienza, "Leo" n'a cessé de grandir et de s'affirmer, aussi bien physiquement en arborant une coupe de cheveux à la garçonne, que dans son baile en osant chaque fois plus exprimer sa personnalité hors du commun. Elle a présenté hier soir au Théâtre Villamarta son nouveau spectacle, "Naranja amarga", en première absolue au Festival de Jerez.
C'était aussi la première fois que Leonor Leal se produisait en son nom seule sur la scène du Théâtre Villamarta, qu'elle avait partagé auparavant avec de grands noms du flamenco comme Andrés Marin ou Antonio El Pipa. Dans ce spectacle intitulé "Naranja Amarga", Leonor Leal se dévoile, dans toutes ses contradictions. A l'image de l'oranger, arbre andalou emblématique, dont les fleurs d'azahar diffusent des effluves sucrées mais enfantent des fruits amers, Leonor Leal montre que les apparences sont trompeuses, qu'elle n'est par exemple pas le personnage lisse et sage qu'elle peut parfois représenter, qu'elle n'est pas seulement une bailaora, mais avant tout une danseuse au style inimitable, capable d'exprimer avec son corps une infinie palette d'émotions.
La performance artistique est impressionnante. Les chorégraphies, montées conjointement avec Andrés Marin, fourmillent d'idées originales, et l'interprétation, plutôt contemporaine, est d'un très haut niveau. Cependant, la puissance du baile ne laisse pas toujours la place à l'émotion. Seuls les passages de guitare avec la subtile musique de Cano - la pièce musicale d'introduction est d'une grande intensité et d'une rare beauté - , et le cante por solea de Javier Rivera et Jeromo Segura apaisent la frénésie ambiante. Le baile de Leonor, que ce soit por caña, tangos ou bulerias est fait de paradoxes : saccadé, énergique, avec des gestes presque violents, ou rond avec des bras amples et des mouvements de hanches marqués. Elle est parfaitement connectée à la guitare de Salvador Gutierrez, qui signe avec Cano la composition musicale du spectacle.
La scénographie de Victor Zambrana est simple mais percutante. L'orange est représentée par une toile tendue au dessus de la scène, une scène faiblement éclairée qui rend l'ensemble assez sombre. Un peu plus tard, une image projetée sur la toile dévoile le buste de Leonor. Surprenant.
Leonor Leal était également accompagnée de Rocio Marquez, artiste invitée dont la voix illimitée a résonné dans le Théâtre Villamarta.
En résumé, la bailora de Jerez a montré dans ce spectacle qui elle est vraiment : une artiste audacieuse et libre, qui détourne les codes du flamenco, se joue des traditions esthétiques... et qui ne se laisse pas enfermer dans le carcan des conventions.
Si une partie du public était mitigé à l'issue du spectacle, l'autre partie des spectateurs du Théâtre Villamarta a réservé une standing ovation à une Leonor Leal radieuse.