« Chants Sacrés Gitans en Provence » est une création musicale sous la direction artistique du chanteur Tchoune, basée sur un répertoire de chants religieux méditerranéens, fortement influencé par la présence gitane en Provence. En concert au Théâtre de la Reine Blanche à Paris ce dimanche 18 novembre 2012, ils ont visiblement étonné et charmé une grande partie du public.
On pourrait y aller à reculons, penser que le Sacré est quelque peu trop poussiéreux et le mélange avec des formes moins officielles, incongru…Ce serait passer à côté de l’énergie et la ferveur communicatrice d’un spectacle étonnant et émouvant. Outre l'aspect liturgique des chants, il se déroule tout un dialogue entre plusieurs espaces et cultures. Disons un rayon géographique et hautement culturel, qui va de la Catalogne (avec une composition originale en catalan inspirée des chants évangélistes des gitans de Mataro) à la Provence, et dont le centre névralgique serait Les Saintes-Maries-de-la Mer, où se déroule chaque année au mois de mai, le fameux pèlerinage des gitans, « sauvé des eaux » si on peut dire, par le Baron Folco Baroncellli-Javon, dit Lou Marqués, manadier et écrivain de son état. Enfin quelques perles de la musique espagnole avec des citations de Manuel de Falla (La danse du feu arrangée par le pianiste Martial Paoli) et Garcia Lorca (Anda jaleo, Nana del caballo grande) viennent ponctuer les différents chants : évangélistes, sépharade, provençaux, saetas, villancicos et polyphonies, en majorité dédiés à la Vierge et au Christ.
Cette stimulante rencontre entre divers répertoires et cultures ne serait pas ce qu’elle est sans la présence de musiciens et interprètes dont le travail s’enracine à la fois dans un territoire (celui où la plupart d’entre eux sont nés) et dans leurs origines respectives : gitane,andalouse, catalane, provençale et même corse. Interprétés par différentes générations d'artistes de cette région de la Méditerrannée, tous ont un rapport fort avec leur héritage. En effet, autour de la voix et des palmas parfaites du chanteur gitan Tchoune (dont le nom est une contraction du provençal pitchoune : petit), connu pour son groupe Tchanelas, dont il fut le seul élément, plusieurs générations et expériences sont présentes. Sur scène, la bailaora Florencia Deleria, est la cadette. Celle qui danse la siguirya depuis toute jeune avec une dignité gitane à vous couper le souffle (qui l’a vue à Mont-de-Marsan à l’âge de 14 ans ne peut que se souvenir de ce tremblement de duende), s’intègre allégrement dans l'ensemble des trois chanteurs et des deux musiciens marqués par leur appartenance culturelle. Gil Aniorte-Paz, est un fervent défenseur de l’art andalou, de l'Algérie à l'Andalousie, en passant par Perpignan puis la cosmopolite Marseille, où il fonde avec sa sœur Sylvie Aniorte le groupe multi-culurel Barrio Chino. A leur côté, la voix « provençale » de Jean-Luc di Fraya et un des guitaristes flamenco les plus prometteurs de Marseille, Manuel Gomez, que le public parisien a pu entendre à feue Planète Andalousie à Montreuil. Enfin au piano (fougueux), Martial Paoli, en provenance de l’Île de Beauté. Il apporte la touche de lyrisme « classique » à l’ensemble.
Habitués à jouer dans des lieux de patrimoines, les déplacements et la mise en espace sont à discuter et il semble qu’il y ait des choses à travailler scéniquement pour gérer le nombre d’artistes sur scène, la place de la danse, les nombreuses « passations » entre chanteurs et la présence imposante du piano à queue. En revanche, le répertoire a été peaufiné avec soin, et remarquablement produit par Opus 31, une structure basée à Montpellier et spécialisée dans les chants sacrés.
Marseille est Capitale Culturelle Européenne en 2013. Loin des débats houleux que cette candidature a soulevé au pays du mistral, voici un bel exemple de brassage, et de synthèse, qui témoigne de la cohabitation et de l’assimilation de formes traditionnelles par différentes appartenances. Dans ce groupe qui prend un plaisir évident à jouer ensemble, chacun célèbre avec le même enthousiasme les chants de leur terre. Le clou du spectacle étant la psalmodie « Tres rei », où Jean-Luc di Fraya énumère quelques noms parmi les 72 attribués à Dieu en langue provençale au rythme des palmas flamencas et a cappella : un must de « vivre ensemble » ! En bref, nous vous conseillons vivement d'aller les entendre lors de leur prochain passage à Paris en février et mars 2013. Ne serait-ce que pour entendre ce que les mots « culture », « origines » et « terre » peuvent signifier de nos jours. En plus d'interpréter des grands classiques ou de les faire redécouvrir, l'énergie des protagonistes de « Chants sacrés gitans en Provence » est évidente. Et les traditions, loin de mourir, trouvent un souffle nouveau.
(Un disque de cette création est disponible : renseignements auprès d’Opus 31)« Chants sacrés gitans en Provence », une production de Opus 31.
http://www.opus31.fr – http://www.tchanelas.com