Carmen Linares est une grande artiste qui jongle avec le répertoire flamenco d'une incroyable façon. Samedi 5 février elle faisait salle comble au Teatro Maestranza de Séville avec Miguel Poveda, et elle partageait hier soir la scène du Teatro Circo Price avec Tomasito dans le cadre du festival Caja Madrid. Son récital à la Maison des Arts de Créteil pour le festival Sons d'hiver montra encore d'autres facettes de son art, la cantaora passant du chant flamenco traditionnel à l'adaptation des textes de grands poètes espagnols, de la voix du peuple à celle du poète.
20 ans. 20 ans que le Festival Sons d'hiver se consacre à promouvoir la musique, les musiques. Et il n'oublie pas le flamenco. Grâce à Chantal Albertini qui oriente les choix artistiques du festival en matière de flamenco, les théâtres du Val-de-Marne ont accueilli ces dernières années des concerts mémorables avec les plus grands artistes contemporains : Chocolate, Miguel Poveda, Terremoto hijo, Tomatito, Manuel Agujetas... Cette année il s'agissait de la grande Carmen Linares, artiste rare que l'on n'avait pas vue sur une scène parisienne depuis sa participation au spectacle "Poeta en Nueva York" d'Andrés Marin en 2008.
Carmen Linares se distingue par sa voix, rauque et voilée, celle d'un Enrique Morente au féminin. Son élégance vestimentaire est tout aussi légendaire. A soixante ans, la cantaora a conservé un visage poupin et une jolie silhouette, et dans sa longue robe ocre brillante et son bolero noir, elle en parait beaucoup moins.
Lorsqu'elle s'avance sur scène avec son groupe disposé en arc de cercle et constitué de deux tocaores, deux palmeros et un percussionniste, c'est pour chanter por Tangos, emmenant le public de Séville à Grenade en passant par Malaga avec des letras de la Repompa. Dès ce premier cante cependant un défaut de mise en scène apparaît : même depuis le premier rang, la proximité avec le public est difficile. En effet, Carmen Linares se situe au centre de l'arc de cercle, dans un endroit plutôt reculé de la scène, faiblement éclairée, alors qu'un immense espace a été alloué devant pour les quelques pas de danse qu'esquisseront les palmeros. La connexion avec le public s'en ressent, un public d'ailleurs pas uniquement aficionado, qui s'enquiert avant le récital de savoir s'il y aura de la danse, ou se met à faire les palmas hors contexte.
"Voy a cantar los cantes de mi tierra" annonce Carmen Linares avant de se lancer por Taranta et Cartagenera, des cantes qu'elle domine parfaitement, accompagnée par la guitare du tocaor catalan Pedro Barragan. La cantaora de Jaen poursuit en duo avec son fils, le talentueux guitariste Eduardo Pacheco, par une longue série de soleares dans lesquelles elle exprime toute une palette de sentiments.
Les cantiñas révèlent à ceux qui ne le connaissaient pas le bailaor Adolfo Lobato jusque là cantonné aux palmas. Avec un style classique et élégant, un zapateado musical et une certaine dose d'humour, le compagnon de scène habituel de Carmen Linares conclut de belle façon la première partie de soirée dédiée au cante flamenco traditionnel.
Carmen Linares a beaucoup travaillé ces dernières années sur les textes des grands poètes espagnols. Son dernier album "Raices y alas" est consacré à Juan Ramon Jimenez, et dans son nouveau spectacle "Oasis Abierto" elle rend hommage à Miguel Hernandez. Dans la seconde partie de "Verso a verso" elle délaisse donc les letras populaires pour s'emparer des textes de ces poètes et leur prêter sa voix. Elle commence avec une adaptation de la "Baladilla de los tres Rios" de Federico Garcia Lorca sur un rythme de bulerias bien marqué par le cajon du talentueux Antonio Coronel. Son interprétation d'"Asesinado por el cielo" por granaina et rondeña est remarquable, elle y transmet beaucoup d'émotion. D'autres morceaux - Cancion de madre et Remembranzas - sont issus de son album "Raices y alas". Le poids des textes et de la musique composée par Juan Carlos Romero apporte une dimension supplémentaire notable au second volet du récital.
Cette grande soirée de cante tant attendue se termine avec des Bulerias teintées d'Anda Jaleo et des Tonas qui achèvent de conquérir le public, un public qui se demande déjà quel programme lui réserve la 21ème édition de Sons d'hiver.