Flamenco en France accueillait le danseur de Jerez Andrés Peña dans un spectacle hors-les-murs en partenariat avec la Ville de Levallois les vendredi 19 et samedi 20 novembre 2010 à la Salle Ravel. Il était accompagné par ses compatriotes, David Lagos, David Palomar et Miguel Rosendo au cante, et Francisco Javier Patino à la guitare.
C’était la première prestation à Paris de ce danseur de Jerez bien connu des scènes françaises. Et quelle prestation ! Andrés Peña, avec son spectacle « Peña », une compilation de ses meilleurs bailes, a enthousiasmé le public francilien par sa présence d’une exceptionnelle qualité artistique et technique.
Andrés Peña fait partie de ces danseurs qui offrent un baile flamenco classique, sans artifice comme il le définit lui-même: «ne pas oublier le passé pour créer de nouvelles choses». Ce spectacle est aussi le témoignage de la permanence d’un héritage qui vient d’être inscrit au Patrimoine mondial de l'UNESCO, au titre des biens culturels immatériels.
Le spectacle “Peña” qu’il nous a présenté est une succession de danses sans fil directeur, avec une scénographie minimaliste mais qui offrait la possibilité au danseur d’être entouré par ses musiciens et d’offrir une proximité au public. C’est aussi la clé de ce succès. Andrés Peña nous fait vivre ce retour aux origines et à l’essence même de la danse flamenca avec cette référence au style de la ville de Jerez, un des berceaux de cet art et terre d’attache de ce danseur. Toutes les danses qu’Andrés Peña nous a offertes, sur ces palos (rythmes) différents, portent l’empreinte de l’authenticité. L’esprit de cette danse est là avec cet ancrage constant et profond au sol qui peut alors donner ce sentiment de hauteur. L’esprit de chaque « palo » est aussi respecté : tangos, martinete, alegría, farruca, soleà, bulería… L’émotion portée par chaque danse peut alors nous atteindre.
Le spectacle s’ouvre avec la vision originale des musiciens dont les silhouettes sombres se détachent sur le fond rouge de la scène. Une belle introduction por tangos à la guitare et au cante précède l’entrée d’Andrés Peña. Le ton est donné : «force et clarté». Il se déplace sur scène, fort de son zapateado, de ses recojes et changements d’épaules, et réalise des vueltas vertigineuses. Miguel Rosendo, de sa voix chaude et avec gravité, introduit un martinete, moment très fort de ce spectacle. Andrés Peña, un bastón (canne) à la main, se lance dans de superbes variations rythmiques. Ses cortes sont salués par des applaudissements. Après l’intensité, il nous propose la légèreté avec une alegría. David Palomar, expert de ce chant porte sa danse, et David Lagos rajoute une allégresse. Il navigue sur la scène, porté par ce vent mélodique. Vient une très belle farruca après une longue et riche introduction à la guitare. Peña est très à l’aise dans cette danse très masculine grâce sans doute à sa sobriété qui rappelle la fierté d’Antonio Gades et la fougue de Manolete. Succédant aux mouvements altiers, Andrés Peña retrouve la terre avec une soleá, danse de la solitude. La musique se fait plainte et entre chaque phrase le danseur se fige, moments d’attente et de retenue, qui conduisent à ces remates libérateurs pour une bulería finale. Très à l’aise dans ce style, où l'on retrouve la guasa de Jerez et sans doute l’influence d’Angelita Gomez.
Andrés Peña a une très grande présence sur scène, acquise dès ses débuts au sein de la compagnie « Albarizuela » du maître de Jerez Fernando Belmonte qui a vu passer tous les grands danseurs de Jerez. Sa technique de pieds est excellente et riche ; son port de bras élégant, sobre et précis permet de ponctuer, d’accompagner ou d’amener son zapateado. Ses llamadas sont simples en apparence, mais difficiles dans leur précision, car elles se doivent de lancer ou de relancer la danse. Rythmiquement, ses escobillas sont très riches et ses jeux sur le rythme rappellent ceux de Joaquin Grilo, une autre grande figure du baile à Jerez. Cette précision des pieds laisse à l’aficionado le sentiment d’une expression claire et maîtrisée. Il utilise beaucoup les desplantes, cette technique qui permet de transmettre la force d’un pied à l’autre, pour mieux la retenir, et de donner un sentiment de contraste. Ses vueltas de tacon sont caractéristiques de son style, des tours secs réalisés sur les deux talons, qui viennent conclure un remate. Sa veste vient joliment accentuer ses vueltas quebradas donnant cette image d’ailes d’un moulin à vent.
Andrés Peña s’était entouré d’un quatuor de musiciens d’exception. David Lagos, au chant, natif aussi de Jerez, a montré toute sa présence vocale et son cante était en constante harmonie avec la danse ; une très belle voix, très originale qu’il est capable de suspendre dans le temps. David Palomar et Miguel Rosendo ont apporté aussi ce soutien à la danse, le premier s’illustrant sur les alegrias, apportant le sel et le piquant de sa ville natale de Cadix, le second apportant l’intensité. Le « toque » de Francisco Javier Patino à la guitare a su être incisif sur les cortes et les llamadas. Il a livré de très belles introductions mélodiques pour le chant et la danse mais le niveau suramplifié du son de sa guitare a parfois écrasé les moments subtils du chant et les passages aériens de la danse. C’est peut-être le seul regret mais qui n’en est plus un face à l’excellence de ce spectacle.
Le public a réservé une véritable ovation, très méritée, à Andrés Peña et à ses musiciens... et donc un rappel pour des patas de bulería. Merci à Flamenco en France de nous avoir régalés de ce spectacle.
Photo ©Christian Bamale