L'interview de la semaine 

Sophia Quarenghi : Violina à Jerez 

 

C'est à Jerez quelques jours après la fin du Festival que nous faisons connaissance avec Sophia Quarenghi, violoniste Suisse installée à Jerez depuis plus de cinq ans. Une rencontre fort intéressante.


D'où viens-tu ?

Je suis italo-suisse, ma mère est italienne et mon père est suisse, j’ai grandi en Suisse à Basilea.

Tu es violoniste, comment as-tu choisi cet instrument ?

Je ne l’ai pas vraiment choisi. A l’âge de cinq ans, j’ai suivi un cours d’introduction à la musique, et la professeur là-bas vit rapidement que j’étais faîte pour le violon, alors à l’âge de 5-6 ans j’avais déjà le violon à la main. Mais je pense que si j’avais pu choisir, mon instrument aurait été le violoncelle.

Comment s’est faîte ta rencontre avec le flamenco ?

En 1989 à Almuñeca avec le baile. C’était un voyage fortuit à Almuñeca. Depuis Madrid en passant par Grenade, je suis allée sur la côte pour prendre un peu le soleil, et il y avait une petite fille qui dansait avec sa famille, je ne sais plus si c’était por tangos ou rumbita, il y avait une ambiance très familiale. C’était dans un bar-restaurant à côté de la pension où je logeais, durant les fêtes patronales de San Miguel. Je suis ensuite rentrée dans ma chambre à la pension, j’ai commencé à faire des mouvements, et me suis dit « ça c’est pour moi ». Lorsque je suis rentrée en Suisse j’ai commencé à prendre des cours de baile flamenco. J’ai consacré 15 ans au baile flamenco et lui ai donné mon âme. Entre 5 ans et 20 ans, je me suis exprimée avec le violon, et entre 20 ans et 35 ans je me suis exprimée avec le baile. J’ai fait de la danse classique à partir de l’âge de 5 ans, mais c’est à 20 ans que je me suis exprimée sentimentalement avec la danse. Et à partir de 35 ans, depuis mon arrivée ici, en Octobre 2002, je m’exprime de nouveau avec le violon.

Tu vis ici à Jerez depuis 5 ans, pourquoi avoir choisi de vivre ici ?

Oui, depuis 5 ans et demie déjà. C’est en partie par hasard, mais en partie aussi car le berceau du flamenco est à Jerez. Il n’y a pas d’autre ville en Andalousie où on vit autant le flamenco qu’à Jerez. Et c’est très appréciable, surtout quand tu es étranger. Tu te promènes dans une rue et tu entends des quejios (ayeos qui précèdent les chants). C’est très émouvant. Mais c’était aussi par hasard, car j’avais un endroit où vivre, un endroit où prendre des cours de baile, et je pensais travailler dans le tourisme dans le domaine du vin en arrivant ici.

"Le violon flamenco
ne s'apprend pas" 




Et ta vie d’avant Jerez, à quoi ressemblait-elle ?

C’est très fort, car c’était totalement autre chose ! J’ai choisi la médecine aussi par hasard à 17 ans. Soit je faisais médecine, soit je faisais du violon. J’ai été un peu influencée par mes parents. J’avais aussi une situation familiale difficile à surmonter, et j’ai suivi une thérapie qui m’a aidée à me libérer des problèmes familiaux pour faire ce que je pensais véritablement être fait pour moi, c’est-à-dire la musique. Le baile aussi c’est mon truc mais ici en Espagne, vivre du baile est difficile pour une étrangère, je n’ai pas un niveau suffisamment élevé. Et avec la musique ici j’ai plus de possibilités pour travailler, pas seulement dans le domaine du flamenco, mais aussi celui de la musique classique, comme musicienne, comme violoniste…ici j’ai les moyens de gagner ma vie avec la musique. Pour être bailaora j’aurais dû retourner en Suisse.

Mais une fois ici tout s’est très bien passé, on m’a ouvert des portes…J’ai eu beaucoup de chance, on m’a très bien accueillie ici à Jerez. Après une semaine entre Jerez et Cadiz, je savais que j’y resterais toute ma vie. Car une semaine après mon arrivée, j’étais déjà en studio en train d’enregistrer des villancicos avec le chœur de la Peña Juan Villa à Cadiz. Je travaillais pour 10 euros par spectacle, alors que maintenant je peux en gagner jusqu'à 300. Ca a beaucoup changé ma vie. Ma vie en Suisse était totalement différente, je travaillais dans une clinique psychiatrique et j’étais sur le point d’ouvrir mes propres consultations de psychiatrie. J’avais aussi mon studio de baile pour donner des cours. Ca aurait été mon chemin si j'étais restée en Suisse. Mon caractère aussi colle assez bien avec le flamenco, on me l'a même dit ici, que je suis assez «flamenca». Je me sens mieux comprise et acceptée ici, avec mon caractère, ma façon d'être qu'en Suisse, l'Andalousie correspond mieux à mon tempérament. C'est ce qu'on me dit, même ma famille me l'a dit.

Tu n'as jamais le mal du pays ?

Durant les cinq premières années énormément, mais un peu moins maintenant, heureusement. C'est très dur pour tes proches lorsque tu t'en vas, ils ressentent de la culpabilité, il ne comprennent pas : pourquoi notre fille est partie, pourquoi nous a-t-elle laissés ? Je n'ai pas laissé ma famille, je suis partie de Suisse pour me consacrer à ma passion qui est le flamenco. Mais il y a un mélange de douleur, de culpabilité, d'incompréhension...c'est long à expliquer.

Tu t'es très bien intégrée à Jerez, tu es reconnue par les artistes d'ici, quel est ton secret ?

En réalité je ne sais pas. Mon coeur perçoit de la tendresse de la part des gens. Même de ceux qui me regardent de façon bizarre lorsque je me déplace en bicyclette... Ce que je constate, c'est que même les gens qui au début me regardaient de façon sceptique, car je suis étrangère, une touriste en fait...je les remercie de m'avoir donné cette possibilité. Je n'ai jamais espéré que l'on m'accepte, jamais. Pour moi, chaque fois que l'on m'a appelée, que ce soit pour un mariage ou un spectacle, je l'ai reçu comme un cadeau, et chaque fois qu'une nouvelle compagnie, un nouveau guitariste ou un nouveau chanteur m'appelle, je suis pleine de gratitude, et c'est ce qui ressort le plus dans ce que je ressens en vivant ici [...] J'ai un grand respect pour l'art de cette ville, et mon attitude c'est de vouloir apprendre cet art.

Je vais te raconter quelque chose de très fort que j'ai vécu. Dans la rue par exemple on m'arrête souvent pour me dire «Jerez t'aime beaucoup». Ce sont des choses qui me font halluciner. Alors je me mets à rougir car c'est quelque chose de très fort. Un jour j'allais au marché avec mon père, et sur un stand de poissons, il y avait des gitans. Je ne les connaissais pas personnellement, mais l'un d'eux m'a arrêtée (il avait dû me voir à la télé ou dans des spectacles) et m'a dit «Hey, tu es Sophia, celle qui joue du violon ?», et il m'a dit (en plus il y avait mon père avec moi) «Sache que Jerez t'aime et t'apprécie». Je suis restée...encore aujourd'hui quand j'y repense ça me donne des frissons. C'est très fort. Ici je n'ai jamais entendu quelqu'un dire spontanément des choses désagréables à mon égard. Des critiques d'artiste oui, mais des choses sur moi, je n'en ai pas souvenir. Il y a une attitude très positive envers moi, alors je ne peux qu'être reconnaissante et contente ici.

Evidemment il faut toujours lutter pour survivre, surtout pour un musicien, ce n'est pas facile. Il faut toujours lutter et être très actif. Je suis une personne très inquiète alors je fais beaucoup de sport chaque jour : je vais courir le matin, je fais mon footing, je fais de la gym pilates, du yoga, je vais beaucoup danser, à la piscine. Cela m'aide à me sentir bien dans mon corps, à surmonter mon stress, et tenir mieux mon violon ! J'essaye d'avoir une vie équilibrée, un esprit sain dans un corps sain, quotidiennement.

Tu as joué au Festival de Jerez avec Antonio REYES à la Bodega Los Apostoles dans le cadre du Festival de Jerez, raconte-moi

Ce fût très émouvant. C'est la 2ème fois que je me produis avec Antonio REYES et sa femme Patricia VALDEZ qui est danseuse. Je suis très contente, surtout après cette 2ème représentation qui était plus facile pour moi que la première à Chiclana. Ce sont de grands artistes et de belles personnes. Je les admire énormément, encore plus maintenant que je connais leur travail, et aussi pour leur grande personnalité. Ce sont des gens qui ont un grand coeur, ils me l'ont démontré. Je suis très heureuse de travailler avec eux, et avec Antonio HIGUERO qui est un excellent guitariste et une personne exquise. Ca me plaît vraiment de travailler avec eux. Et bien sûr j'apprends toujours. Je n'avais encore jamais accompagné de zambra jusqu'à présent, c'était une zambra de CARACOL, et je trouve que c'est très intéressant d'accompagner ce style au violon.

Quels sont tes projets cette année ?

Je pense qu'il y a des étapes. Les cinq premières années pour moi c'était chercher ici un endroit pour vivre, survivre, chercher ma vie, savoir si j'allais rester ou repartir. J'ai toujours su que j'allais rester mais il y a eu des moments où je voulais rentrer.[...] L'année dernière j'ai eu beaucoup de projets artistiques difficiles, jusqu'à monter mon propre spectacle, «El Viaje de Violina » (le voyage de Violina) que j'ai présenté à la Sala Compañia. Ca m'a beaucoup endurcie. Je suis aussi allée à la Union. C'était une année très forte artistiquement. Cette année est plus calme, j'aimerais récupérer les diplômes dont je pourrais avoir besoin plus tard. Je suis violoniste, j'ai beaucoup d'années de conservatoire à Basilea, mais je n'ai pas terminé le cursus. Donc j'essaye de récupérer ça pour avoir plus de possibilités de travailler. Je suis libre et autonome mais on ne sait jamais.

Sinon je continue à travailler avec Paco CEPERO, Antonio REYES, Maria-José FRANCO...Et je donne des cours de violon, je joue dans des mariages, des spectacles, je travaille pour manger. Mon propre projet ce sera pour plus tard, si Dieu veut et me donne la force. Pour l'instant c'est un peu en stand- by , car je ne peux pas faire plusieurs choses à la fois. J'ai l'habitude de me concentrer sur ce qui est important, tout le reste, je vais petit à petit. Et jusqu'à présent ça fonctionne plutôt bien. Desfois je le fais de façon un peu chaotique mais aussi méthodique. Cette année j'essaye de travailler du mieux que je peux pour accompagner ces grands artistes de flamenco et j'ai mis mes projets de côté.

Tu enseignes aussi le violon flamenco ?

J'enseigne le violon classique. On me demande si je peux enseigner le violon flamenco, mais je n'ai jamais suivi de cours de violon flamenco... De toute façon, je ne pense pas que ce soit nécessaire, car si tu n'as pas d'oreille ni d'amour pour le flamenco et ne connais pas un peu le compas, tu ne peux pas accompagner. C'est quelque chose qu'on apprend soi-même, chacun doit trouver son propre style pour accompagner le chant, la danse, la guitare, d'autres instruments comme le piano. Chaque professionnel est différent, il faut s'adapter, mais le fait d'apprendre le violon flamenco, c'est une chose que je ne comprends pas. Premièrement il faut commencer avec le compas. Moi-même je suis toujours en train d'apprendre.


Questions, montage audio, traduction : Murielle TIMSIT


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Flamenco-Culture.com - 14 Mars 2008
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