Soniquete Marseillais 


©Famille Santiago

Soniquete Marseillais 

Le flamenco à Marseille 


Cette année, le festival de Nîmes a consacré une soirée à deux artistes emblématiques de la scène marseillaise : le cantaor Luis de Almeria et la danseuse La Rubia (actuellement installée à Jerez de La Frontera). En plus d'être de grands artistes, ce sont aussi de généreux médiateurs de l'arte flamenco à Marseille, parmi tant d'autres personnes qui oeuvrent à la diffusion du flamenco. Riche par la diversité de ses communautés, la cité phocéenne peut s'enorgueillir d'avoir une âme de flamenca. La région PACA compte de nombreux artistes, familles gitanes, écoles et lieux dédiés à la culture du flamenco, qui continuent à perpétuer la passion de l'arte sous toutes ses formes.
Petit focus sur le flamenco tel qu'il se pratique et se vit à Marseille : incontournable et passionné.

L'histoire du flamenco en PACA suit l'histoire des migrations des peuples par temps de guerre... Elle est liée à l'histoire des gitans andalous qui ont fui les désolations de la guerre d'Espagne, puis la guerre d'Algérie, qui les a portés vers cette rive de la Méditerranée, dans la très étendue zone du port autonome de Marseille. La région compte aussi beaucoup d'immigrés espagnols politiques.
Cet article retrace rapidement le flamenco à Marseille et les principales personnalités qui le vivent et le pratiquent : les familles gitanes, les artistes, et les professionnels du spectacle qui continuent à le transmettre et à le défendre. Pour la plupart d'entre eux, la question de la transmission fait partie de la culture du sud.

LE CHANT

La région compte un nombre important de chanteurs. Même s'ils n'accèdent pas tous à une notoriété internationale ou s'ils ne font pas de carrière professionnelle dans la musique, ce sont des flamencos remarquables. Les plus connus sont Cristo Cortes, un des jeunes frères de Luis de Almeria (le « patron » des Flamencos à Marseille), Diego Deleria et son fils Blas, José Cortés el Muleto, Perico Santiago, Justo Eleria au timbre cristallin et qui a beaucoup tourné avec Juan Carmona, le jeune Emilio Cortes de Martigues. Dans l'arrière-pays aixois, à Pertuis, il y a le trio Fernandez, François Fernandez et ses fils. Et tant d'autres chanteurs qu'il nous est impossible de tous les citer, toutes générations confondues.
La majorité des chanteurs sont des hommes, la plupart sont gitans. L'excellent chanteur Tchoune Fernandez, qui a longtemps travaillé avec Alabina, a révélé beaucoup de talents artistiques féminins au sein de son groupe Tchanelas. Celle qui se distingue à Marseille n'est pas des moindres ; la Yeya Santiago a tout d'une professionnelle : le talent et l'humilité. Il y a également Yarmen, une chanteuse andalouse réputée pour sa connaissance.
Étant donnée la présence de nombreuses familles gitanes andalouses, le cante flamenco continue à se transmettre au cours des fêtes familiales et de réunions improvisées. Les cours de chant fleurissent et attirent de plus en plus de monde. Pour les néophytes, c'est un bon moyen de découvrir plus profondément cette musique.


©Julien Anselme

LA DANSE

La danse semble la reine incontestée auprès d'un public plus large que celui des aficionados. Le langage de la danse est universel et le baile flamenco ne manque pas d'expressivité. On a pu voir grandir de sacrées danseuses à Marseille : La Rubia, aujourd'hui installée à Jerez, Isabel Gasquez, Ines Nunca, Paca Santiago, Alejandra Cortes, Sandie Santiago et la jeune génération Florencia Deleria, Ana Perez, Ana Cortes... Ana Vidal de Buenos Aires, La Fabi, Emilie da Mota ont également choisi Marseille pour travailler. Récemment Sarah Moha, partie travailler à Paris, est revenue dans sa région d'origine pour de nouveaux paris artistiques.

LA GUITARE

Le guitariste Juan Carmona installé dans la région a une reconnaissance internationale. De la même génération, Frasco Santiago et le génial Antonio Negro sont reconnus en France et en Espagne pour être d'excellents tocaors. Antonio Abardonado « el Titi », plus jeune et tout aussi virtuose, s'est distingué sur les scènes internationales avec un flamenco jeune, dans un esprit de fusion avec la salsa et le jazz.
Parmi les guitaristes qui accompagnent les nombreux tablaos à Marseille, on trouve Paco Carmona, Juan Manuel Gomez et Juan Santiago, Didier Lubrano, ainsi qu'Anton Fernandez, qui se distingue par son swing particulier. À Aix-en-Provence, Arthur Dente développe une musique où se croisent le flamenco, le fado et la musique classique.

AU CAJON

Enrique Santiago, Antonio Gomez « El Kadu », Juan Cortes « El Chulo », « Doumé » figurent parmi les percussionnistes de la scène marseillaise...

À côté des tablaos et du traditionnel, on trouve des artistes qui intègrent le flamenco dans leur musique comme faisant partie de leur héritage musical : Bruno Allary avec la compagnie Rassegna, Sylvie Paz, et son frêre Gil Aniorte-Paz, le duo formateur de Barrio Chino.


©Nathalie Garcia Ramos

LA TRANSMISSION

Maria Perez a été la première à fonder une école à la fin des années 80 avec le fameux Centre Solea situé rue Sainte. Puis La Rubia, à l'époque toute jeune danseuse, a ouvert El Boleco, devenu La Meson depuis son départ à Jerez de la Frontera, et où enseignent désormais Alejandra Cortes et Josele Miranda. Luis et Isabel Cortes, un couple d'artistes de Port-de-Bouc ont ouvert Los Flamencos en plein centre-ville et contribuent à la diffusion du flamenco et à la rencontre des communautés. Isabel Gasquez, une grande figure de la danse à Marseille, enseigne à l'Espace Julien et au théâtre Bompard. L'ATCF (l'Association Traditionnelle Culturelle flamencas) avec Manolo et Paca Santiago, oeuvre à l'Espace Culturel Mirabeau. En septembre 2008, une nouvelle académie a vu le jour : Malva Loca, dirigée par la danseuse argentine Ana Vidal, qui y enseigne avec La Fabi et Diego Lubrano.

À Aix-en-Provence, Anita Dagorn, directrice de Sol y Luna apporte son sens de l'esthétique et sa vision toute personnelle du flamenco. Cristel Dente, par le biais de l'association Caminando, assure des cours au sein de La Maison de l'Espagne, lieu aixois dédié à la culture ibérique. Fabienne Riffé, « La Maja », enseigne du côté de Cabriès avec son association Ahora Flamenco.

À côté de ces écoles qui possèdent leur local propre, on peut trouver une multitude de cours de sévillanes, rumbas et bulerias dispensés par des enseignantes passionées comme Émilie da Mota de Sueno Flamenco, Lili Lorente de Tourbillon Sevillan, Joëlle Martin avec Bailar la vida !, Camino Andalou...à travers la ville.

LA DIFFUSION

La diffusion du flamenco à Marseille et dans sa région se fait principalement au travers du tissu associatif, mais aussi au cours des festivals et des choix artistiques des programmateurs locaux.
Sur les ondes locales, Radio Grenouille diffuse l'émission Rumba Ketumba de Veronica Chiner suite à l'interruption de Toma ke toma, passionnante émission de Michel Pichol sur le flamenco à Marseille.

Les écoles de danse et les associations telles que l'ATCF, sont les médiateurs les plus précieux et permettent au public de voir et entendre des artistes issus de la scène locale, nationale et plus rarement, lorsque les moyens et les contacts le permettent, d'Espagne. À Port-de-Bouc, la famille Carmona, organise des concerts avec des artistes gitans venus d'Espagne dans une salle Youri Gagarine à chaque fois au complet.
Depuis de nombreuses années, la salle indépendante La Machine à coudre accueille Antonio Negro et ses invités, pour des concerts improvisés avec des musiciens de tous les horizons. Mine de rien, ces soirées ont beaucoup contribué à sortir les jeunes voix des quartiers Nord de la ville...

Il est rare que le prestigieux et international Festival de Marseille dirigé par l'aficionada Apolline Quintrand ne fasse pas une place au flamenco, avec l'accueil de grands noms comme Miguel Poveda, Moraito, Israël Galvan, Eva Yerbabuena, Diego Carrasco, Duquende, Vicente Amigo... Chaque mois de mai, le Théâtre Toursky soutient un pan de la culture méditerannéenne en organisant le Festival International de Flamenco, avec cette certitude qu'il est vital à Marseille.
La célèbre fiesta automnale des Docks des Suds ne manque pas non plus de programmer des flamencos et possède même une bodega dédiée aux sévillanes, à la rumba et à la tauromachie. Dernières étoiles à avoir enflammé le public marseillais (réputé pour sa dureté) : El Grilo, Estrella Morente, Tomatito, Paco de Lucia, Diego Carrasco et la tropa Santiaguera...
L'été, les aficionados vont à Arles, où là encore, la direction artistique a des faiblesses pour le flamenco. Quand ils ne vont pas passer quelques jours à Mont-de-Marsan, où l'on peut rencontrer une grande partie de l'aficion marseillaise, venue pour les stages et/ou pour faire la fête. En janvier, malgré le froid, les plus acharnés vont au festival de Nîmes, qui promet de belles juergas.

Comme beaucoup de musiques et cultures traditionnelles à Marseille, le flamenco s'inscrit naturellement dans le territoire, et continue sa survivance dans les quartiers, sur les scènes, et à travers les liens sociaux et amicaux que l'aficion tisse entre les êtres, au-delà des origines et des classes sociales.
La communauté flamenca de Marseille le vit intensément ! De la ville où une sardine aurait bouché le Vieux-Port, n'ayons pas peur de dire que son soniquete est incomparable, unique et qu'il n'a rien a envier à ses cousins andalous...

Nathalie Garcia-Ramos

Nous nous sommes appuyés sur L'enquête régionale sur les musiques et danses traditionnelles communautaires et du monde réalisée en 2000/2001 dans le cadre de l’Arcade (la Mission des musiques et danses traditionnelles en région PACA) et menée par Sami Sadak et Philippe Fanise.

Pour plus d'information sur les lieux et les associations évoqués

  • le site dédié au flamenco à Marseille
    http://www.garcia-ramos.net

  • Vidéos sur le flamenco à Marseille et dans sa région
    http://fr.youtube.com/alfanui

    Crédits photographiques : Julien Anselme (http://picasaweb.google.fr/ju.anselme) // Nathalie Garcia Ramos // Famille Santiago

  • Cet article était destiné à être publié dans le dernier numéro de feu flamenco-magazine, remerciements à son auteur Nathalie Garcia Ramos et à Miguel Villanueva qui ont choisi de le diffuser sur ce média.

    Flamenco-Culture.com - Nathalie Garcia Ramos - Février 2009