L'interview de la semaine 

Nilda Fernandez : chanteur nomade 

C'est un dimanche d'Octobre en fin d'après-midi que je retrouve Nilda Fernandez à Planète Andalucia. Pour moi, rencontrer Nilda c'était comme me replonger dans une nostalgique adolescence, le flamenco en plus. Qui n'a jamais entendu son tube "nos fiançailles" resté classé des mois durant au Top 50 de l'époque que présentait chaque semaine Marc Toesca. Les temps ont bien changé depuis, peut-être que Nilda aussi, mais son discours est toujours aussi poétique.

 


Comment s'est faîte votre rencontre avec le flamenco ?

Alors ma rencontre avec le flamenco, c'est très facile, c'est car je suis de mère sévillane et de père murcien, je suis né à Barcelone dont déjà j'ai des petites facilités. Mais pendant toute une partie de mon enfance et de mon adolescence je n'aimais pas, car ce que j'entendais ne me plaisait pas, c'était la copla flamenca et tout ça, qui avait beaucoup de succès parmi les immigrés, mais je n'aimais pas. Et un jour j'ai lu Lorca, j'ai lu sa prose, les conférences qu'il a faîtes au sujet du duende, du cante jondo, et à ce moment-là je me suis dit "je passe à côté de quelque chose, il faut que je connaisse". Et donc j'ai commencé à acheter des disques, c'était encore une époque où le flamenco n'était pas encore ce qu'il est maintenant, alors j'ai acquis une grande anthologie du flamenco que j'avais vue au Corte Inglés à Barcelone, 24 vinyles qui m'ont véritablement ouvert à un monde que je soupçonnais sans le connaître.

Vous avez également étudié le flamenco ?

Alors après oui je me suis intéressé à quelque chose de plus approfondi. Mais moi je ne suis pas un guitariste de flamenco, je ne suis pas chanteur de flamenco, je suis amateur de flamenco mais je ne le pratique pas. Par contre j'ai commencé une thèse de doctorat sur la letra flamenca. Je me suis intéressé à la littérature, à ce qui est chanté dans le flamenco, la letra. Et alors là oui...je ne suis pas allé jusqu'à la thèse, j'ai juste fait un DEA, puis après la thèse c'était quand-même beaucoup de temps, et je ne l'ai pas faîte. Mais ça m'intéressait de voir la thématique flamenca. J'ai essayé une approche à travers Chomsky et la grammaire générative, c'est-à-dire de voir comment pouvait se construire un discours flamenco en réalité, qui avait ses nuances et ses variantes infinies, et essayé de trouver une grammaire de la letra flamenca, la découvrir plutôt.

"Le flamenco est un art élitiste
fait par le peuple" 


©Paula Dominguez

Vous avez récemment mis en scène le spectacle "Carmen Cita" pour la rentrée de Planète Andalucia, c'était la première fois que vous faisiez de la mise en scène ?

De la mise en scène de flamenco oui. J'ai fait aussi de la mise en scène avec du cirque et la danse contemporaine à Cuba. J'avais fait une esquisse de cette oeuvre à Moscou avec des artistes français de Marseille, de Nîmes...mais on avait eu très peu de temps pour le travailler, mais là cette-fois avec Planeta on est allés un peu plus loin. C'était la deuxième fois, mais la vraie première fois en ce qui concerne l'aboutissement.

Pensez-vous qu'il manque des metteurs en scène au flamenco ou que c'est un art qui doit rester dépouillé, improvisé...?

Ah non, je ne pense pas qu'il manque des metteurs en scène au flamenco, du tout, il en faut le moins possible d'ailleurs. C'est juste parce que moi j'avais envie de raconter cette histoire. L'occasion qui s'est présentée à Moscou c'était parce que des amis fêtaient leur anniversaire et voulaient faire une fête espagnole, plus que flamenca, et je ne sais pas pourquoi mais l'idée de Carmen m'est venue...à partir de l'oeuvre de Mérimée. C'est l'occasion qui fait le larron, mais je n'ai jamais pensé que le flamenco avait besoin de mise en scène. Il a besoin d'un regard car parfois je pense que les artistes peuvent se perdre dans toutes les offres, toutes les pistes et les tentatives qui existent...oui un regard, sauf que le regard quand on met en scène il est justifié, c'est-à-dire qu'à un moment on peut dire "J'aimerais bien que tu essayes ça en dansant" parce que ça va avec l'histoire. Donc on a un prétexte pour demander à l'artiste d'aller dans telle ou telle direction. Mais moi cette mise en scène de flamenco je l'ai faîte à l'inverse de l'avant-garde, j'ai essayé de revenir aux fondements du flamenco.

Quels sont vos artistes favoris dans le panorama actuel ?

Oh, je ne suis pas grand-chose en ce moment. Le monde du flamenco pour l'instant me rebute un peu car je pense qu'il a pris une direction...Pour moi honnêtement, le flamenco est un art élitiste, ce n'est pas du tout un art populaire au sens où on l'entend. Il est fait par le peuple sans être un art populaire. Donc il a pris le chemin de la masse, des grands festivals, des grands spectacles, et du coup ça ne m'intéresse plus. Je trouve qu'il y a des gens talentueux, mais ça ne me touche pas. Pour moi le flamenco il est ailleurs.

On vous a aperçu à Mont-de-Marsan, qu'avez-vous pensé de la vingtième édition du Festival ?

Alors oui, Mont-de-Marsan, ça représente un peu ce que je disais, c'est un peu les Jeux Olympiques du flamenco... c'est au danseur qui fera le plus de "drrrrr" à la seconde. Donc voilà, on est dans les Jeux Olympiques ou le cirque mais... le flamenco est un art d'élite, dans le sens où c'est un art d'initiés, en plus il transmet des sentiments, qui sont très simples, très primitifs, et qui sont très vrais. Et là on part dans un propos qui est l'extase devant la performance, mais on ne travaille pas sur la chair de poule, on travaille sur la course de fond, ou sur le sprint. Moi ça ne m'a pas touché. J'ai par contre été touché par un guitariste et un chanteur, ils étaient tous les deux seuls sur scène, c'était le couple parfait (ndlr : José de la Tomasa et Antonio Carrion)

Parlons un peu plus de vous...Comment avez-vous vécu votre succès dans la variété française dans les années 80-90 ?

Bien. Il peut nous arriver des choses pires que d'être reconnu dans ce qu'on fait. Je l'ai très bien vécu, j'ai mal vécu d'autres choses mais qui sont vraiment à garder pour soi car celà fait partie de notre problématique et notre lutte pour ne pas se perdre, mais dans le fond c'est un grand bonheur, je crois que je ne l'ai pas encore tout à fait réalisé, et je me suis débrouillé pour ne pas le réaliser d'ailleurs, pour ne pas faire en sorte que ce succès devienne un dû, mais que je sois toujours émerveillé quand je chante et que je rentre sur scène et que je vois des gens devant moi qui attendent.

Faire la première partie de Sting ça fait quel effet ?

A l'époque ça m'avait causé plus de stress que de choses agréables. Et puis surtout en sortant de scène j'avais compris que la course à Bercy ce n'était pas ma voie. J'avais fait une chanson qui passait à la radio depuis 4-5 mois, donc on commençait vraiment à parler de moi, alors je me suis retrouvé en raccourci dans la situation dans laquelle tout le monde qui débute rêverait de finir, c'est-à-dire une grande salle comme Bercy. Et je me suis dit "Si ça c'est le but d'une carrière, merci beaucoup, ça me paraît dérisoire". Tout-à-coup tu es devant 18000 personnes que tu perçois uniquement comme une masse, et tu n'as qu'un rapport de force dans le fond. Tu es plus fort car tu as des barrières et une sono, et eux ils sont agglutinés, et moi les humains agglutinés ça me pose problème.

Vous avez fait des tournées en roulotte, quel est votre rapport au nomadisme ?

Le nomadisme c'est quelque chose qui normalement n'est pas un effet de mode. L'être humain est nomade dans la mesure où il bouge avec les saisons, les troupeaux, il cherche sa nourriture en fait. Moi je suis nomade pour travailler, pour gagner ma vie, je ne fais pas du tourisme. Il y a des gens qui prennent un an de leur vie pour faire le tour du monde, avec un forfait Air France...c'est pas ça. Moi vraiment j'ai passé 5 ans en Russie par pur nomadisme. Je n'étais pas égaré, je me suis trouvé là-bas et j'ai eu du travail avec un artiste là-bas, on a fait des tournées et j'ai eu beaucoup de plaisir à le faire, mais ça fait partie de la vie, pour trouver de quoi vivre, de quoi continuer à vivre.

Que vous a apporté votre rencontre avec Mercedes Sosa ?

Une belle chanson et puis aussi la rencontre avec une belle interprète, une grande interprète qui m'a appris qu'interpréter c'est d'abord chanter des textes, avant de montrer qu'on a une belle voix. Mercedes je l'ai vue devant moi, c'est quelqu'un qui sait exactement ce qu'elle dit quand elle chante.

Vous êtes également écrivain, de quoi parlent vos deux livres ?

Ils sont tous les deux épuisés ou presque. Le premier c'est un roman à la première personne, c'est une femme qui raconte quelque chose. Pourquoi une femme ? j'ai trouvé intéressant de prendre un "je" très différent de moi, regarder le monde comme une femme c'était une expérience littéraire intéressante. Le deuxième livre "Le chant du monde" est une chronique que j'ai tenue entre 2003 et 2005, durant mon périple en Russie, c'est un peu comme un journal.

Quels sont vos projets artistiques ?

Mon projet artistique c'est un album que je commence fin octobre. Je suis très content de l'annoncer car ça fait dix ans que je n'en ai pas fait, je crois que j'ai battu tous les records... je commence fin Octobre à Gênes en Italie. Il y aura des nouvelles chansons à moi, et pas d'espagnol du tout...mais il y aura une guitare flamenca !


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flamenco-culture.com - Murielle Timsit - Octobre 2008