Javier Baron : simple et sincère
C'est après la deuxième représentation de Dos Voces para un Baile au Théâtre National de Chaillot que je retrouve Javier Baron, un artiste talentueux qui fait rimer art avec humilité, simplicité, bonté et sincérité. Son spectacle est le plus simple de la quinzaine, mais assurément celui que j'ai le plus apprécié. Car au délà de ses qualités artistiques, Javier Baron a de grandes qualités humaines qui sans doute transparaissent sur scène. Simple, sincère, c'est un homme d'une rare gentillesse, qui se lit dans ses yeux.
Javier tu es de Alcala de Guadaira, quel est ton premier souvenir du flamenco ?
Mon premier souvenir c'est lorsqu'un voisin m'avait prêté un costume de flamenco lorsque j'étais tout petit. J'ai un joli souvenir de ça, j'ai des photos. Je ne savais ni danser ni rien. C'était lors d'une fête de fin d'année, je n'avais pas d'habit pour monter sur scène et on m'avait prêté ce costume pour danser une sévillane. C'était la première fois que j'en dansais une.
Quelle serait ta définition du flamenco ?
C'est une grande chose, une merveille, je ne peux te dire tout ce que celà représente pour moi, c'est ma vie, et ça se passe très bien. Je profite au jour le jour de tous les gens qui m'accompagnent, de ma compagnie, des amis que j'ai. Il y a beaucoup de choses qui vont avec le flamenco : des bons moments, des fêtes, des succès…je profite de tout. Pour moi définir le flamenco...c'est qu'il a tellement de choses, c'est tellement vaste... Celà te guide tant, ça te fait oublier tellement de problèmes, de choses qui se passent dans le monde [...] Souvent je le définis ainsi, de façon très humble.
Penses-tu que le flamenco t'a fait mûrir plus vite que les autres ?
Ce qui m'a fait mûrir c'est le temps qui a passé, chaque étape que j'ai franchie, le fait d'apprendre des choses, et parfois de souffrir beaucoup. Car il y a les bons côtés qui te donnent beaucoup de joie et te font te sentir bien, mais aussi d'autres qui sont très difficiles, par exemple à cause de personnes qui je pense n'aiment pas vraiment le flamenco, où ne font pas de bonnes choses pour le flamenco. Et ce que je vois me fait plutôt mal.
Chaque année qui passe te donne plus de poids, une façon différente de penser les choses, plus sereine. En ce moment je me sens très bien. Je remercie tous les maestros qui m'ont appris tant de choses d'eux, ça m'a aidé à m'enrichir. Tout ce que j'ai appris je l'ai mis dans une malle d'où je ressors des choses lorsque j'en ai besoin. Ca m'aide à créer, à faire les choses avec plus de tranquilité.
Les jeunes aujourd'hui font les choses très rapidement, ce qu'un autre ferait en 30 ans, un jeune va le faire en 10 ans. Les choses doivent se faire petit à petit, avec que tu apprends, ce que te donne la vie, ce qu'il t'arrive, ta personnalité, ta famille, le fait de voir disparaître des gens de ta famille comme moi par exemple qui ai vu partir mon oncle qui m'a beaucoup aidé. Ces choses te font beaucoup réfléchir, et te réaliser au moment de faire quelque chose de nouveau, ou lorsque tu te mets à danser ça te donne beaucoup d'énergie, beaucoup de hargne comme je dis.
As-tu des maestros de référence ?
Oui, énormément de maestros. J'ai eu la grande chance que chaque maestro m'ait toujours donné le maximum, et quand il ne pouvait pas m'enseigner plus, il m'encourageait à changer. Le maître lui-même me disait "Je ne peux pas t'enseigner plus". Je les en remercie beaucoup, je leur dois beaucoup. Ils ont eu la patience de m'enseigner des choses qui m'ont vraiment enrichi, et m'ont servi pour faire ce que je fais maintenant : avoir ma compagnie, mes idées...
"Le flamenco est une merveille"
Tu ne m'as donné aucun nom...
Il y en a tellement. J'ai commencé avec Antonio Salandilla à Séville, avec Pepe Rios qui a été le premier à m'enseigner le compas du flamenco. Ensuite je suis parti à Madrid à l'âge de 11 ans et j'ai commencé avec Tomas de Madrid, avec Ciro, Rafael de Cordoba, Maria Magdalena...Je ne veux oublier personne, mais j'ai étudié avec tellement de monde...Manolete, avec Güito un peu aussi, je ne sais pas...énormément de gens. Chacun m'a vraiment apporté beaucoup de choses, avec beaucoup de joie. Avec Faïco aussi, Toni El Pelao... Ils m'ont apporté énormément et je les en remercie, j'aimerais leur rendre un hommage, voyons si nous pouvons faire cela, mais c'est difficile, très difficile... Il y en a qui sont déjà partis.
As-tu des origines gitanes ?
Non, mais je m'entends très bien avec les gitans. Dernièrement j'ai travaillé sur le spectacle Dime, je ne sais pas si tu en as entendu parler, c'était une demande de la nièce de Federico Garcia Lorca pour une création à Grenade à la Vuelta San Vicente. Là-bas se célèbre un grand festival tous les ans en juillet : c'est tout petit, car c'est l'endroit-même où sejournait Federico Garcia Lorca en été. Donc Laura, sa nièce, me commanda un spectacle qui s'appèlerait Dime, dédié à son oncle. A partir de là nous l'avons développé, on a appelé Diego Carrasco et mis dans le spectacle des gens de Jerez...Je m'entends très bien avec eux, ce sont de très bon amis.
J'ai travaillé aussi avec eux sur un spectacle où il y a Tomasito, Moraito Chico, Manuel Molina... C'était un groupe de gens merveilleux, et le seul payo qu'il y avait c'était moi. J'étais très surpris, mais le fait est qu'ils m'aiment et m'apprécient beaucoup, nous avons fait de très bonnes choses ensemble, ils m'ont très bien accueilli et je les en remercie. Je ne suis pas gitan mais je m'entends bien avec eux, je travaille beaucoup et je les emmène souvent avec ma compagnie, car il y a une bonne entente, une très bonne entente.
Javier Baron, c'est ton vrai nom ?
Mon vrai nom est Francisco Javier. Le nom de Baron vient d'un oncle à moi. Il était parti de Séville pour Madrid afin de devenir matador, mais finalement il est devenu novillero. Je te raconte celà car ensuite il est parti aux Etats-Unis pour faire des films avec des amis américains, et il avait là-bas des amis dont un qui s'appelait Baron. Il avait gardé ce nom de Baron dans un coin de sa tête car ça venait des Etats-Unis et ça sonnait bien, et lorsque je suis venu à Madrid, comme c'était mon second père, il voulait que ce que lui n'avait pas réussi à faire en tant que torero, je le fasse en tant que bailaor. Et il souhaitait que l'on change mon nom car il y avait une émission de télévision très importante (ndlr : Gente Joven sur RTVE), à diffusion nationale, et à partir de là j'ai commencé à m'appeler Javier Baron.
Pourquoi as-tu choisi le baile ?
Pour moi c'était comme un jeu, je n'ai jamais pensé que j'allais en faire mon métier.
Chez moi, nous étions quatre dans ma famille : il y avait ma mère, mon père, mon frère...ma mère a toujours aimé la sévillane, et mon père aussi, mais il n'y avait personne dans le milieu. C'est une famille qui a toujours été très travailleuse, très humble. Il fallait beaucoup d'argent pour me former, prendre des cours, voyager... et c'était difficile, très difficile. Alors je suis très fier de mes parents et de mon frère, car il m'ont toujours beaucoup soutenu pour avancer.
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Tu aurais voulu chanter aussi non ?
Je chante très mal ! J'aime beaucoup le cante mais ce n'est pas mon truc. J'aimerais aussi jouer de la guitare. Mais ce sont des choses qu'il faut étudier en plus d'être aficionado, sinon ça ne vaut pas le coup. Je me base aussi beaucoup sur le chant et la guitare au moment de monter mes chorégraphies.
As-tu d'autres passions à part le flamenco ?
J'aime un peu lire, écouter un peu de musique classique, de jazz, mais une passion, pas vraiment. J'aime aussi le modélisme, mais c'est vrai que je n'ai pas tellement le temps.
C'était ta décision d'aller vivre à Madrid à l'âge de 11 ans ?
Non, ce fut la décision de mon oncle. C'est mon oncle qui un jour était venu de Madrid pour Noël, à l'époque je prenais de cours avec Pepe Rios, et il dit à mes parents "Si le petit veut apprendre plus, il faut qu'il aille à Madrid, ici à Séville il y a peu d'endroits et de professeurs pour apprendre". Alors comme ça coûtait cher et que je devais étudier à l'école, je ne pouvais pas m'en aller de l'école ainsi, mon oncle s'occupa un peu de tout pour que je puisse continuer à étudier à l'école en même temps que le baile à Madrid. C'est comme ça que je suis parti à l'âge de 11 ans et j'y suis resté durant 16 ans.
Après avoir étudié avec tous les maestros, j'ai intégré le Ballet National d'Espagne, j'y suis resté 4 ans. Là-bas ce n'était pas du flamenco, il y avait d'autres styles de danse comme la danse classique, contemporaine, l'école bolera, il y avait là-bas une formation beaucoup plus large, plus développée. Je suis très reconnaissant envers le ballet National car ces choses on ne les apprend nulle part ailleurs, si tu les apprends au sein du Ballet National d'Espagne c'est une grande fierté, un plaisir. C'est là-bas que j'ai d'une certaine façon peaufiné ma formation. J'ai été pendant un an sous la direction d'Antonio El Bailarin, Antonio Ruiz Soler, et ensuite j'ai passé trois ans avec Maria de Avila. C'est elle qui m'a vraiment formé.
J'ai énormément appris durant ces quatre ans au sein du Ballet National, comment on monte une chorégraphie, la façon dont on crée une mise en scène...des choses très intéressantes que je n'aurais pu voir ailleurs. Celà m'a donné une grande expérience. Après quatre ans, j'ai souhaité revenir au flamenco, j'ai commencé à monter un petit groupe, à faire des spectacles, jusqu'à ce que je crée ma propre compagnie à Séville.
Comment as-tu vécu le fait d'être séparé de tes parents à l'âge de 11 ans ?
Tout a été difficile. Je prenais souvent l'avion et le train, quand je pouvais j'allais les voir, ou bien mes parents aussi venaient de temps en temps à Madrid. Au début c'était un peu dur, être tout le temps avec ta famille, et d'un coup être séparé c'est difficile. Mais ensuite ils ont vu que je m'améliorais, que j'apprenais beaucoup plus, il voyaient que j'étais content, que mon oncle s'occupait bien de moi, ils me voyaient danser et les choses ont changé. Ils ont vu que j'avais besoin d'être là-bas à Madrid.
Quand es-tu revenu à Séville et pourquoi ?
Une des choses les plus importantes de ma carrière fut de gagner le prix Giraldillo à la Biennale de Séville en 1988. Je suis allé me présenter là-bas pour que le public de Séville me voit, être sur ma terre. Ce prix fut très important pour moi et pour ma carrière.
Je suis revenu peu de temps après à Séville car le ministère de la Culture m'offrait la possibilité de monter ma propre compagnie. Alors j'ai saisi cette opportunité. Le premier spectacle s'appelait El Pajaro Negro.
J'étais aussi un peu fatigué de Madrid, de ma vie là-bas. J'avais envie d'être avec les miens de nouveau, avec tous mes amis…
Tu donnes des cours aussi ?
Oui, de temps en temps. Mais chaque chose nécessite du temps. Lorsque je donne des cours je le prends très au sérieux. J'en donne peu mais quand c'est le cas je les prépare bien pour que les gens apprennent et profitent, sinon je n'aimerais pas ça. Ca je l'ai appris de tous les maîtres que j'ai eus. Il faut faire les choses bien, tranquillement, et que les élèves profitent de ce temps avec toi, ça je l'ai toujours en tête.
Quel est ton meilleur souvenir de spectacle ?
J'ai de la tendresse pour beaucoup choses que j'ai faîtes, comme par exemple El baile de hierro, baile de bronce, que j'ai présenté ici à Paris au Théâtre Chaillot, qui est un grand hommage à Vicente Escudero, pour celui-là j'ai une tendresse particulière.
Mais pour moi le plus important pour moi c'est Dime, c'est comme un point culminant, un spectacle très fort.
J'ai aussi beaucoup de tendresse pour le spectacle que nous avons fait aujourd'hui et hier.
Pour chaque spectacle tu as une façon de penser, de t'exprimer pour le public.
Chacun a quelque chose de spécial, mais pour moi Dime est un des plus importants.
Peux-tu me parler de Dos voces para un baile ?
Cela vient de mes années à Madrid. J'avais toujours un cantaor pour m'accompagner à Madrid, et maintenant j'en ai un autre à Séville. C'est un peu un souvenir de mes débuts. A l'époque il n'y avait pas de percussion, de violon, il n'y avait rien de tout ça... Il fallait faire les choses de la façon la plus classique, la plus traditionnelle possible... et quel est le plus traditionnel et le plus classique dans le flamenco ? le cante, la guitare et le baile, et le rythme des palmas. Pas de cajon ni rien, l'essentiel. Alors j'ai choisi des styles de cante. C'est un spectacle très simple, mais la simplicité est difficile. Nous chantons, dansons pour que ça se passe bien et aussi pour que le public profite et apprenne. Car je considère aussi ce spectacle comme quelque chose de didactique, avec toute la variété des styles abordés. Il y a un éventail très large. Et ça plaît toujours au public.
Miguel Ortega était ton cantaor à Madrid ?
Non, mon cantaor à Madrid c'était Guadiana, et à Séville j'ai beaucoup travaillé avec Juan José Amador, mais au moment de réaliser les choses, c'était difficile. Alors le mieux c'était de choisir ces deux cantaores magnifiques que sont José Valencia et Miguel Ortega.
Pourquoi avoir choisi de présenter ce spectacle et pas Méridiana qui est plus récent ?
Peut-être que je le présenterai la prochaine fois. Je m'entends très bien avec le directeur Ariel qui est une personne merveilleuse, et il voulait que je vienne ici. Je lui suis très reconnaissant, ainsi qu'à son équipe technique, au Théâtre qui m'accueille très bien, et au public. C'est la 3ème fois que je viens ici et il y beaucoup d'admirateurs qui me suivent et se souviennent de ce que j'ai fait avant. Si je reviens l'année prochaine, ce sera peut-être avec Meridiana, ou autre chose.
Dans Dos Voces para un baile, c'est Faustino Nuñez le directeur musical...
Oui, c'est un ami à moi. Je lui ai demandé de s'occuper de la partie musicale, de l'organisation des palos que je voulais choisir. Je travaille aussi toujours avec David Montero pour la mise en scène. Chacun apporte ses idées.
Lis-tu les critiques ?
C'est compliqué. Souvent je ne suis pas d'accord avec ce qui est écrit. Avec un stylo ou un ordinateur on peut écrire ce qu'on veut. Il y a des gens qui souvent ne sont pas des experts, mais je les lis peu. Les critiques ne m'intéressent pas vraiment. Si quelqu'un écrit quelque chose de bien ou non, que puis-je y faire ?
Quels sont tes projets pour l'année ?
Nous travaillons sur quelque chose de nouveau, serons en tournée au Japon, aux Etats-Unis, puis à La Biennale de Séville le 3 Octobre, dans mon village, Alcala de Guadaira, à Grenade aussi...il y a beaucoup de choses, que ça continue !
Remerciements à Sara DEZZA et Carlos SANCHEZ de Dezza Producciones
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