Fran, comment as-tu découvert le flamenco ?
Autour d'un feu. J'avais quatre ans et j'étais à la maison lors de la noche buena (réveillon de Noël).
J'ai entendu des gens qui faisaient du bruit. J'entendais des palmas, des jaleos, tout celà, alors je suis sorti de la maison. Il y
avait une famille de gitans qui était autour d'un feu pour célébrer la noche buena. Ils dansaient et chantaient
por tangos, por bulerias. C'était des voisins à nous alors je les ai rejoins et me suis mis à danser et à chanter avec eux.
C'est à ce moment-là que j'ai découvert le flamenco.
Ensuite tu t'es formé avec des maestros, essentiellement avec Marilo Regidor à Cordoue,
que t'a-t-elle transmis de particulier ?
Elle m'a donné toute la base que j'ai aujourd'hui, la base de tous les bailes, la connaissance de tous les palos du flamenco,
aussi bien ceux qui se dansent que ceux qui s'écoutent, car c'est une grande aficionada au flamenco dans sa totalité.
Elle m'a aussi transmis la capacité d'improvisation. Quand il restait dix minutes, elle me faisait improviser un baile de dix minutes
por siguiriya, por solea... alors que maintenant improviser un baile de cette façon me ferait plus peur.
Tu as donc commencé à danser très tôt. Quand as-tu arrêté les études ?
J'ai arrêté les études après avoir terminé l'Institut. J'ai décidé de passer mon temps à danser et à créer mes propres chorégraphies.
J'avais donc besoin d'être à plein temps dessus. Mais je pense quand-même pouvoir étudier un jour quelque chose...
Chez moi on dit : "nunca es tarde si la dicha es buena", alors on verra ce que l'avenir réserve !
Tu as aussi étudié la danse espagnole, qu'est-ce que ça t'a apporté, la discipline, la netteté des
mouvements ? En quoi cela t'a-t-il aidé dans le flamenco ?
Le placement, le placement est très important. Le placement des bras, beaucoup de choses... Tout ce qui concerne l'occupation de l'espace sur scène et le
rapport au corps vient de là, de la danse espagnole. Le maintien du corps, c'est ce que j'ai essayé de conserver de cela.
Penses-tu que c'est quelque chose qui manque aux flamencos ?
Cela dépend. Ce n'est pas forcément nécessaire mais c'est vrai que ça complète ta connaissance de la danse. Mais ce n'est pas obligatoire
car il y a des gens qui n'ont pas fait ce type d'étude et qui dansent très bien le flamenco. Je pense qu'il y a de tout. Cela complète et est
utile, et si c'est possible il faut le faire.
Quelle est ta définition du flamenco ?
C'est très difficile de dire ce qu'est le flamenco. Les uns disent que c'est une façon de vivre...je n'ai pas de mots pour le définir en réalité.
Quand j'aurai 80 ans je te le dirai.
Y-a-il un palo qui te plaît plus que les autres ?
La buleria. C'est un virus qui te rentre dans le corps et n'en sort plus.
Tu as une grande connaissance du cante, en quoi cela t'aide dans ton baile ?
C'est obligatoire de connaître le cante, sinon comment peux-tu arriver à danser et à créer les choses... tes propres pas... En réalité
un danseur doit être un cantaor frustré, totalement. Il faut connaître le cante, et en plus ça me plaît beaucoup. Personnellement j'aime
énormément le cante.
Aurais-tu aimé être cantaor ?
Oui, complètement. Si j'avais eu les capacités vocales j'aurais été cantaor, sûrement.
ndlr : durant ses stages et lors des fin de fiesta de ses spectacles Fran se met souvent à chanter, avec beaucoup de talent.
Tu es très créatif, où vas-tu chercher l'inspiration ?
Oh, dans beaucoup d'endroits. Tant dans le baile flamenco chez les autres artistes que dans d'autres musiques, d'autres danses,
d'autres types de mouvements, et surtout en ce moment je me rends compte que dans la peinture je vois des mouvements. Je vois le
mouvement des pinceaux et ça me donne des idées pour réaliser des choses. J'adore la peinture. J'aime tout bien sûr,
mais j'aime beaucoup El Greco.
Tu recherches le baile ancien quand tu danses, quelles sont tes références parmi les anciens danseurs ?
Tout ce qui est ancien est très bien. Il faut tout regarder : chaque détail, chaque regard, chaque mouvement, il faut faire attention à tout.
Je peux t'en citer plusieurs : Antonio, Carmen Amaya, Enrique El Cojo, Manuela Vargas, tous les anciens. Je ne veux pas non plus donner d'autres noms
car ce sont tous des réferences, il faut les voir, de chacun d'eux il y a quelque chose à prendre.
On dit aussi que tu as quelque chose de Farruco non ?
C'est ce qu'on dit. Mais je pense que c'est le physique. Evidemment j'ai vu Farruco, mais vu mon âge je n'ai pas eu la chance de le connaître.
Mais ce n'est pas en lui que je me regarde et je ne prétends pas lui ressembler non plus.
Deux adjectifs pour te définir ?
Sincère et bonne personne.
Tu es aussi une personne très humble, penses-tu que c'est quelque chose qui manque aux flamencos ?
Je pense que l'humilité doit être quelque chose de naturel, et sinon je crois qu'il faut faire très attention et essayer d'en avoir.
Il y a des flamencos qui sont peu humbles mais d'autres qui le sont. Je pense que ça va avec la personne, il n'y a pas besoin d'être ou non
flamenco. Etre humble ça va avec la personne, et il faut l'être, toujours. Si tu n'as pas d'humilité comment vas-tu y arriver...
Que t'évoque le mot liberté ?
La grandeur, avancer, le futur... je ne sais pas comment l'exprimer.
Joaquin Grilo a fait un spectacle qui parle de la manipulation des artistes par le pouvoir et où il revendique une certaine
liberté. Il me semble que toi aussi tu es atypique dans le sens où tu es plutôt indépendant, c'est difficile d'être indépendant dans ce monde, de ne pas se conformer à la norme ?
C'est très difficile bien sûr car il y a beaucoup d'artistes et peu de lieux où se produire. Nous sommes arrivés à un moment où il y a un monopole de l'art,
où ce sont toujours les mêmes qui dansent et si tu ne te trouves pas à l'endroit où sont les autres ils ne pensent pas à toi, c'est normal. Alors il faut ouvrir
d'autres voies pour se produire.
Etre seul est toujours difficile, ça renvoie au mot "soledad" (solitude), mais je pense que c'est une forme de liberté aussi, un moyen de faire ce que te dicte ton coeur.
Que penses-tu de la place du flamenco à Cordoue ?
Je pense qu'il a une bonne place, surtout avec le Concurso Nacional. Maintenant il y a La Noche Blanca del Flamenco, nous avons des grands festivals. Mais je crois
que Cordoue est destinée à avoir ce qu'elle a et elle continuera avec ce qu'elle a, car ils ne prennent pas soin du flamenco comme ils le devraient.
Penses-tu qu'il faudrait aller vivre à Madrid ou Séville pour développer ta carrière, que c'est un passage obligé ?
Dans mon cas je n'ai jamais vécu à Séville ni à Madrid. Ce que j'ai fait jusqu'à présent je l'ai fait sans passer par ces deux endroits.
Evidemment, jamais je n'ai été programmé à Séville. A Madrid j'ai dansé durant un mois entier au Corral de la Moreria et dans des festivals indépendants
aussi, mais à Séville jamais. Peut-être que je devrais aller vivre à Séville pour me faire connaître dans d'autres endroits, mais je crois que je ne le
ferai pas, je suis bien comme je suis.
Tu voyages beaucoup, que t'ont enseigné les voyages ?
Je voyage seul depuis l'âge de 17 ans. Alors, que tu le veuilles ou non, ça te fait voir le monde d'une autre manière,
connaître des gens, et ça t'apporte une culture surtout, une culture différente. Tu sors du panier d'oeufs dans lequel
tu étais, en Espagne, et que tu le veuilles ou non ça te fait mûrir, beaucoup.
Penses-tu que le fait que ta compagne Astrid soit française t'a amené à t'ouvrir plus
ou bien c'est ta propre personnalité qui est ainsi ?
Je pense que oui. Avant de la connaître j'étais différent, je ne savais pas ce qu'il y avait de l'autre côté de la frontière.
J'étais déjà allé un peu à l'étranger, mais c'est sûr qu'elle m'a énormément apporté.