Interview 

David Lagos, cantaor jondo 

 

Le cantaor David Lagos de Jerez finalise actuellement son premier album solo, c'est pourquoi il semblait important lors de son séjour à Mont-de-Marsan de découvrir qui se cache derrière ce chanteur de talent que l'on voit bien plus souvent accompagner le baile. Un entretien de plus de vingt minutes qui s'est déroulé à l'Ecole de Musique de Mont-de-Marsan en présence de l'épouse de David Lagos également chanteuse Melchora Ortega.


David, tu viens d'une famille flamenca ?

On peut dire "flamenca" mais pas gitane. Flamenca car il y a toujours eu du flamenco dans ma famille... nous avons toujours chanté et apprécié le flamenco. C'est une famille cantaora où chantent plusieurs frères de ma mère, mon grand-père...

Quel est ton premier souvenir du flamenco ?

Le premier souvenir que j'ai depuis tout petit, c'est celui d'un cousin qui est aussi artiste et chanteur, qui avait gagné le premier prix d'un concours qu'il y avait avant à la télévision et qui s'appelait "Gente Joven". J'avais à l'époque environ 6 ans et ça m'avait ému de voir mon cousin à la télévision car avant ce qui passait à la télévision était très important. Je me souviens que j'étais très content, il m'avait appris tous les titres qu'il avait enregistrés sur son disque. C'est le premier souvenir qui m'a marqué : voir quelqu'un de ma famille, quelqu'un d'important pour moi à la télévision.

Peux-tu me parler de Jerez ?

Jerez pour moi, en ce qui concerne le flamenco, est une ville à la mentalité un peu archaïque, mais avec une façon très spéciale de voir le flamenco, une façon de le vivre. A Jerez le flamenco est un mode de vie. Par exemple je vis maintenant dans le quartier de Santiago (je n'y suis pas né mais j'y habite depuis quelques temps). Si la fenêtre est ouverte il y a toujours quelqu'un qui chante dans la rue où je vis... En face de chez moi il y a un bar où tous les soirs il y a des fêtes jusqu'à 5h du matin, je descends plus d'une fois pour m'y joindre, ce qui est un motif de dispute avec ma femme raconte David en riant avec son épouse Melchora Ortega. Alors je pense que Jerez a un poids important dans le flamenco, étant un de ses berceaux, et pour moi c'est une responsabilité. Quand les gens voient sur ton CV que tu es de Jerez pour eux celà implique une façon de chanter particulière, c'est une responsabilité et je suis fier d'être de là-bas. J'ai toujours ce respect de défendre l'art de la terre d'où je viens.

Ton frère a choisi la guitare et toi le cante, pour quelle raison ?

Je pense que depuis tout petit chacun commence à démontrer pour quoi il est fait. J'ai commencé à chanter depuis tout petit et à montrer que j'avais des facilités pour le chant. Mon frère Alfredo fredonne bien mais il n'a pas de voix. Alors il a choisi la guitare pour pouvoir s'exprimer dans le monde du flamenco. Il a commencé avec la guitare qui est un monde beaucoup plus difficile que celui du cante. Pour moi la guitare actuellement est la chose la plus difficile qui existe dans le flamenco car celà demande énormément d'investissement, et pour arriver à devenir un bon guitariste et à un niveau comme celui de mon frère Alfredo celà requiert de nombreuses heures de pratique, des heures que j'ai supportées sur mon lit à côté à l'écouter jouer sans pouvoir dormir, mais peu importe. Ca lui a coûté comme à n'importe quel guitariste beaucoup d'heures d'entraînement, mais la guitare, son instrument, a été pour lui un moyen de pouvoir s'exprimer. Moi mon instrument c'est la gorge et lui c'est la guitare.

Préfères-tu chanter p'atras ou p'alante ?

Ce n'est pas une question de préférence. J'ai commencé à chanter pour le baile car un proche qui m'a ammené pour la première fois sur scène à ses côtés se consacrait à l'accompagnement de la danse. Il chantait beaucoup dans des fêtes, dans les bodegas de Jerez que les étrangers viennent visiter, alors j'ai commencé à y chanter aussi. Aujourd'hui dans le flamenco ce qui prime est le baile ; au premier abord pour les gens qui ne connaissent pas bien le flamenco, c'est le baile qui attire le plus car il réunit les trois choses : la guitare, le baile et le cante. J'ai commencé par ça et les premiers contrats que j'ai eus étaient dans des compagnies de baile, on m'a introduit dans le monde du flamenco par le baile. Mais évidemment un artiste, même s'il chante pour le baile a toujours la préoccupation de chanter devant, de chanter son répertoire complet. Car quand tu chantes pour la danse tu es limité, tu dois avoir un répertoire adapté au baile. Si tu dois chanter por solea tu te dis que tu peux chanter cinq letras et non une seule comme le veut le baile. La même chose pour la siguiriya. Mais pour moi chanter pour le baile n'a rien de péjoratif. Au contraire je suis très fier d'être un cantaor pour le baile, je pense qu'aujourd'hui le baile a atteint un niveau très élevé, il faut donc être très préparé tant au niveau du rythme que des styles de cante, tu dois connaître beaucoup de choses... Et tout celà me sert, maintenant que je suis sur le devant de la scène, à avoir de bonnes bases et ne pas partir de zéro.

Ecris-tu des letras ?

Oui. Le premier spectacle pour lequel j'ai écrit toutes les letras fut Junca de Mercedes Ruiz. Melchora interrompt David pour lui rappeler qu'avant Junca il avait écrit des letras pour un autre spectacle. David reprend : C'est vrai, avant Junca j'en avais écrites pour un spectacle qui s'appelait Rante. Ensuite Mercedes Ruiz m'a appelé pour écrire toutes les letras de Junca, et dernièrement j'ai participé à l'écriture de letras pour Cadiz de la Frontera mais dans une moindre proportion : il y a des choses de David Palomar et aussi des choses à moi. Enfin pour le disque que je prépare actuellement (je suis en train d'enregistrer mon premier disque), 90% des letras sont de moi, à part un thème que j'ai repris d'El Sevillano, un ancien cantaor. C'est une reprise que j'ai faite mais les autres thèmes sont de moi. J'ai aussi écrit pour Argentina. Les deux premières letras de tangos qu'elle a chanté hier sont de moi. J'aime écrire car celà fait partie des choses pour lesquelles nous sommes doués dans la famille. De même qu'il y a des facilités pour chanter il y a aussi beaucoup de facilités pour écrire. Mon grand-père ne savait ni lire ni écrire mais il réalisait des rimes parfaites. Il avait des facilités pour faire des rimes, et nous en avons hérité car il y a beaucoup de membres de ma famille qui écrivent.

As-tu des maestros de référence, qui t'ont guidé dans ta trajectoire artistique ?

Justement mon disque s'appelle "El Espejo en que me miro" (le miroir dans lequel je me regarde). J'ai choisi ce titre car c'est précisément un hommage à tous les cantaores que j'ai écoutés depuis que je suis enfant et qui m'ont influencé dans ma façon de chanter. Ce qui est sûr c'est que je n'ai pas admiré un maestro en particulier mais que j'ai pris un peu de chacun. J'aime quelque chose de chaque artiste. Tous les artistes ont quelque chose de bon, et j'ai essayé de m'approprier les bonnes choses de ces artistes. On m'a souvent dit que je chantais beaucoup comme Chacon, un artiste que j'aimais beaucoup. Au début je chantais de façon très fidèle au style de Chacon, sans l'imiter. Mais ce que je fais aujourd'hui c'est essayer de m'approprier ce que j'ai appris de Chacon et des autres et de donner à mon cante ma propre personnalité.

As-tu un palo préféré ?

Il y a un palo préféré pour chaque moment. Evidemment, si par exemple ici tu vas à la peña à trois heures du matin et qu'il y a une ambiance de fête tu ne vas pas te mettre à chanter por solea. Alors à ce moment là évidemment le palo préféré c'est la buleria, ou les tangos, en tout cas quelque chose où tout le monde peut participer et faire partie de la fête. Après il y a des moments où tu préfères chanter por siguiriya ou por solea, celà dépend de ton humeur. Le flamenco est un état d'âme, et selon cet état d'âme tu préfères telle ou telle chose.

"C'est le baile qui commande" 

Ta femme Melchora Ortega est aussi chanteuse, partagez-vous des choses du travail, travaillez-vous ensemble ?

En réalité très peu. Je me suis toujours consacré au cante pour le baile mais elle n'a jamais chanté pour le baile alors on se rencontre peu dans le travail. Mais maintenant que je vais être un peu plus sur le devant de la scène, nous serions ravis de partager un spectacle tous les deux. Nous serions très contents de pouvoir travailler souvent ensemble. Travailler de temps en temps ensemble c'est bien, mais si on travaillait tous les jours ensemble, on finirait pas s'étriper, ça c'est sûr ! s'exclame David sous le regard amusé de Melchora.

"Le flamenco est un état d'âme" 


©Murielle Timsit

Que t'as apporté le fait d'avoir travaillé avec Adrian Galia ?

Adrian Galia a été l'un des premiers bailaores qui a fait appel à moi pour ses spectacles. La première chose importante que j'ai faite fut d'aller au Japon pendant six mois. Cristina Hoyos m'a entendu chanter et elle m'a appelé pour faire partie de sa compagnie. Et à cette époque Adrian Galia faisait partie de la compagnie de Cristina Hoyos, alors nous sommes devenus bon amis. Puis il a commencé à m'appeler pour travailler avec lui. En plus de travailler ensemble sur ses spectacles nous avons réalisé quelque chose que j'ai trouvé très intéressant, c'était une encyclopédie audiovisuelle, des vidéos sur les palos du flamenco. J'étais chargé de la partie du cante pour le baile, j'enseignai un peu sur la vidéo car c'était un genre de video didactique, et je n'ai même pas osé les regarder car j'étais très jeune et je pense qu'à cet âge on ne peut pas se permettre de dire à quelqu'un comment chanter ou comment on chante. Mais je remercie Adrian de m'avoir fait confiance, c'est une grand ami et un grand professionnel qui peut-être n'est pas reconnu comme il devrait être.

Penses-tu que l'on peut apprendre à chanter ou que c'est quelque chose d'inné ?

Je pense qu'il y a un peu des deux. Je chante depuis tout petit mais il y a des gens qui ont commencé à chanter à l'âge de trente ans. Je pense que c'est un ensemble de choses. Il faut naître avec une certaine faculté, grandir dans l'ambiance adéquate, aimer le cante et le perfectionner. Dans les autres pays on apprend par exemple à chanter l'Opéra, ou bien les chants traditionnels de chaque pays... Mais en Espagne, les écoles où l'on enseigne le flamenco sont très récentes. Aujourd'hui arrivent beaucoup de gens qui ne seraient jamais venus car il n'auraient jamais su qu'ils avaient la faculté de chanter. Maintenant ils ont la possibilité d'aller quelque part et d'écouter chanter, d'éduquer un peu l'oreille pour pouvoir chanter. Je pense qu'il y a un peu de tout. Le plus important pour moi évidemment est de naître avec les facultés, et si on peut apprendre à chanter, je pense que oui.

Que penses-tu du fait qu'il n'y ait pas de stage de cante ici à Mont-de-Marsan ?

Je vois dans tous les endroits où je vais qu'actuellement celui qui commande dans le flamenco c'est le baile, et tout ce qui a un lien avec le baile. La guitare pour le baile, les palmas, tout est un peu centré sur le baile. Si tu regardes les stages de baile, il y a trois niveaux et les trois niveaux sont pleins, car pour les gens qui ne voient pas le flamenco comme une profession mais comme un hobbie c'est beaucoup plus amusant de danser que de chanter, de faire de l'exercice physique, je ne sais pas... Mais je pense qu'il serait important, pas seulement ici, mais dans tous les autres lieux qu'on prête une attention particulière au cante car pour moi connaître le cante est important. Je ne parle pas d'apprendre à chanter, mais il devrait y avoir des stages pour connaître le cante, ce qui est différent. Si une bailaora, un guitariste, un percussionniste, ou un palmero peu importe, connait le chant, il fait mieux son travail. Par exemple si c'est une danseuse elle interprèterait mieux la solea au moment de la danser. Si c'est un guitariste il la jouerait un peu mieux. Il faudrait demander à l'organisation non pas d'apprendre à chanter mais d'apprendre un peu plus à connaître le cante. Melchora Ortega intervient pour souligner qu'il n'y a même pas de stage de cante au Festival de Jerez, alors que Jerez est considéré comme le berceau du cante. David Lagos ajoute : il est important de pouvoir montrer comment différencier les styles les uns des autres, car au sein d'un même palo comme la solea il y a beaucoup de styles différents, et il est intéressant qu'un danseur ou un guitariste reconnaisse les différents styles, pas chaque palo, chaque style de chaque palo. Nous lutterons pour ça ajoute David en plaisantant.

Tu es en train de préparer un disque, tu en as déjà un peu parlé précédemment mais peux-tu nous en dire plus ?

Comme je t'ai dit avant le disque s'appelle "El Espejo en que me miro". C'est un hommage, tant sur le plan artistique que personnel aux personnes qui m'ont fait devenir ce que je suis et chanter comme je chante. Car il est dédié d'une part à mes amis et aux personnes que j'aime, à ma famille, qui ont fait de moi la personne que je suis, et d'autre part aux artistes auxquels je me suis identifié. C'est mon premier disque et ça me coûte beaucoup de le sortir car - et ça arrive toujours pour les premiers disques - nous n'avons pas beaucoup d'aides économiques. Le seul à m'avoir fait confiance est Flamenco World mais c'était un budget limité car c'est un premier disque. Les artistes sont venus participer de façon désintéressée, alors il fallait toujours penser si l'un pouvait venir ou non, si le studio était libre, si la guitare était disponible, si moi-même j'étais là ou non... nous avons commencé il y a un an. Le disque est terminé pour la partie chant et musique, il reste à finir le mixage et mastériser dans l'optique que le disque sorte en septembre. C'est un disque humble et sans autre prétention que d'être ma carte de visite, pour que les gens qui ne m'ont pas écouté chanter devant voient ce que je pourrais faire s'ils m'invitaient à chanter. C'est tout ce que prétend le disque, rien d'autre.

Peux-tu me dire ce qu'il y a dans l'album ?

Oui bien sûr. Il y a une cantiña dédiée à Chano Lobato, une buleria dédiée à la Paquera, il y a des cantes de levante, une malagueña, une tona rématée por cabales. C'est un disque qui comprend les palos basiques du flamenco. Il y a des tangos aussi. Je peux te dire que dans tous les thèmes que j'ai enregistrés j'ai essayé de faire quelque chose de traditionnel et d'y apporter aussi ma propre personnalité. Par exemple pour la malagueña dédiée à Chacon, j'en ai enregistré une au style de Chacon, et une autre qui est un peu une "création" à moi entre guillemets, plus exactement une contribution à la malagueña, avec des détails à moi, Je l'ai fait pour tous les palos que j'ai enregistré. Je suis très heureux que le disque sorte et j'espère qu'il sera bien reçu.

As-tu des nouvelles de Fernando Terremoto ?

Fernando Terremoto va très bien. Ce qu'il a eu ce n'était pas rien, et j'ai été surpris de sa prompte récupération, je pense que c'est parce que c'est quelqu'un de fort et qui avait très envie de guérir, et ça c'est très important dans la maladie. Il a surmonté une maladie. Il a aussi son disque enregistré. J'espère que ça ne le dérangera pas que je le dise mais il devrait réapparaître en public en septembre à la Peña Terremoto, la peña de son père, pour une présentation très intimiste et j'espère qu'il aura récupéré et qu'il continuera à chanter comme il chante, si bien et si flamenco.


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flamenco-culture.com - Murielle Timsit - 09 Juillet 2009
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